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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Les Petits Riens (tome 1) - La Malédiction du parapluie
de Lewis Trondheim
Delcourt - Shampooing 2006 /  12.90 €- 84.5  ffr. / 128 pages
ISBN : 2-7560-0411-1
FORMAT : 14x20 cm

D’un seul blog

Le premier volume des Petits Riens ne surprendra pas les fans de Lewis Trondheim, qui ont pu en lire les planches au fur et à mesure de leur réalisation sur le site de l’auteur. Mais les relire d’une traite permet de restituer à l’œuvre sa cohérence : 128 pages de réflexions plus ou moins pertinentes sur un quotidien de dessinateur.

Lewis Trondheim travaille dans le prolongement de ses autres récits autobiographiques, et en particulier de ses Carnets de bord, publiés à L’Association : les festivals et les voyages lui servent de principal support, tandis que quelques soucis familiaux, autour des enfants et des animaux domestiques, apportent une touche de régularité. Mais l’expérience du blog lui permet aussi de se donner de nouvelles contraintes, un format fixe et un ton un peu différent. De la même façon qu’un nouvel éditeur (c’est la première fois qu’il publie chez Delcourt un ouvrage autobiographique) le ramène à des formes connues, soi-disant plus « grand public ». Il ne s’agit plus simplement, comme dans les Carnets, de représenter des impressions à l’improviste, « garanties sans tipp-ex », mais plutôt d’imiter la forme du journal intime en la transfigurant : le dessin est donc soigné, les couleurs nettes, la planche se conclut souvent par une apparence de gag. Reste le fond d’un quotidien a priori mal conçu pour l’épique ; de véritables « petits riens », une absence d’aventure comme d’introspection sur laquelle Trondheim applique, malgré tout, les finitions d’une forme comique. Le voilà qui discute avec sa femme de la légitimité d’une chemise à manches courtes sur un t-shirt quand on porte un gilet. Ou qui, farceur, annonce à une file de fans attendant leur dédicace de Guarnido que celui-ci a annulé sa venue.

Le personnage de Lewis Trondheim (et sa famille) est donc le seul point commun de ces saynètes : l’homme au bec de rapace n’est toujours pas tendre avec lui-même et se dépeint comme un paranoïaque, gamin et hypocondriaque. Il établit une petite philosophie du ridicule, où toute intervention sérieuse est finalement traitée avec un recul ironique, et où toute tentative de prise de distance se transforme en initiative dérisoire. Rien n’a de sens, sinon le goût de la pirouette finale. La conscience de Trondheim aura le dernier mot, jugement sur un héros entre le personnage fictif et le narrateur à la première personne. Cet autoportrait se décline sur des aventures distinctes, courtes sagas (les chatons donnés par Joann Sfar ou la fameuse « malédiction du parapluie ») et gags indépendants. Il n’est même plus question pour lui de chercher à progresser, comme dans Approximativement : ce Lewis-là ne semble pas plus prêt à changer à un bout du recueil qu’à l’autre.

On quitte ici les running gags et la narration sous-jacente au blog de Frantico (le livre dont Trondheim est peut-être le héros...) : difficile de cerner une architecture sous ces planches qui se suivent sans ordre apparent. Quelques points de repères parsèment le recueil, comme le grand prix de la ville d’Angoulême en janvier dernier, mais ils sont au fond traités au même titre que n’importe quel fait divers. Le fait divers comme gag, et la vie comme fait divers, voici le nouvel enjeu pour Lewis Trondheim. Une façon d’intégrer les blogs et leurs genres à la diversité de la bande dessinée papier.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 14/11/2006 )
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