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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Voyage en pays Mohawk - État de New York, hiver 1634-1635
de Harmen Meyndertsz Van den Bogaert et George O’Connor
Dargaud 2007 /  15 €- 98.25  ffr. / 144 pages
ISBN : 978-2205-059571
FORMAT : 24,5x18 cm

Le Hollandais et les Indiens

George O’Connor, auteur de livres dessinés pour la jeunesse, se lance dans la bande dessinée en illustrant un récit fondateur, un des plus anciens témoignages sur l’histoire des Etats-Unis.
Dans ce texte de 1634, Harmen Meyndertsz van den Bogaert, chirurgien-barbier hollandais, part à la découverte du pays Mohawk qui entoure New York. De campement en campement, il rencontre les chefs de tribus et observe les traditions. Ses raisons sont, bien sûr, économiques : il cherche à assurer les meilleurs marchés pour sa colonie, dont l’existence est menacée par le développement des constructions françaises. La colonie hollandaise s’appelle New Amsterdam. Trente ans plus tard, elle s’appellera New York.

Van den Bogaert n’est pas écrivain. Sa langue, du moins dans une traduction au deuxième degré, manque parfois de chaleur, mais jamais de précision, ni de curiosité. On effleure la vie d’un aventurier en marge, qui se fera plus tard pirate, et qui finira noyé en tentant d’échapper au pouvoir en place, lequel voulait le condamner à mort pour flagrant délit de sodomie. Au dix-septième siècle, l’Amérique n’était pas de tout repos.
Ce New York avant la lettre est bien mystérieux. Lorsqu’on n’habite pas Manhattan, on perçoit sans doute moins bien la portée fondatrice et fondamentale de ce journal de bord, mais il n’est pas inintéressant de découvrir un regard précis sur des communautés loin des clichés habituels. Les tribus rencontrées par van den Bogaert sont composées d’indiens sédentaires, et la description de ces campements solides dans l’hiver 1634 nous change des guerres indiennes du dix-neuvième siècle, retranscrites jusqu’à épuisement. Les tombes, les cérémonies de guérison, les jeux offrent une imagerie nouvelle que George O’Connor rend avec une fidélité qui semble très bien documentée. En cela, cette adaptation prouve son utilité.

Pourtant, elle n’emporte pas complètement l’adhésion. Le dessinateur a choisi de conserver le texte intégral, en affichant un respect total de l’œuvre. Mais en l’illustrant, il prend forcément le large, tirant le récit dans un sens éloigné du dix-septième siècle. Souvent l’image prend le parti des indiens, grands, forts et logiques, comme pour compenser le regard évidemment sûr de lui du colon. Et se moque d’un narrateur qui pourtant s’abstenait de juger. Ce parti pris, adjoint à quelques facilités dans les clichés utilisés (clignements d’yeux, coups de coude et jolies squaws qui relèvent beaucoup plus de l’imagerie contemporaine) gâche la dimension historique en la tirant vers le livre pour enfants. C’est dommage.

Pour le reste, Voyage en pays Mohawk se laisse lire avec agrément. O’Connor parvient à rendre attachants ses personnages malgré l’absence de dialogues. Quelques gags parsèment le récit, adoucissant l’aridité d’un voyage en hiver. Ce regard différent sur la civilisation indienne passe sans heurts. Modèles repoussés, puis sublimés, les tribus indiennes ont construit l’identité américaine par l’altérité. Ces premiers américains n’ont pas laissé de trace écrite, ils n’ont transmis leur image que par le regard des premiers colons. C’est donc un document original qui permet de lire ce regard modernisé, entre dix-septième et vingt-et-unième siècle.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 03/07/2007 )
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