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Bande dessinéeet Aventure  

Shandy, un Anglais dans l'Empire (tome 2) - Le dragon d'Austerlitz
de Matz et Dominique Bertail
Delcourt 2006 /  12.90 €- 84.5  ffr. / 48 pages
ISBN : 284789926X
FORMAT : 23 x 32 cm

La guerre comme œuvre d’art

A l’heure où le bicentenaire napoléonien fait couler de l’encre et pose des problèmes de mémoire nationale et européenne, il y a une certaine audace à publier des ouvrages magnifiant la fresque impériale, en particulier une victoire comme Austerlitz. Et si en plus, c’est beau… ! Un premier album somptueux avait révélé le trait puissant de Dominique Bertail, magnifié par des couleurs dignes de Van Gogh : l’Empire dans une version à la fois sensuelle et impressionniste, autour des aventures de Shandy et d’une Mlle Agnès, poursuivis, dans l’Europe impériale par Dorigo, policier de Bonaparte en quête de complots. Ce nouvel album est de la même eau : exit les champs dorés, prêts à moissonner, du Nord de la France, exit le Paris impérial, éclairé comme une fête par l’explosion de la rue Saint Nicaise, exit les sombres monastères d’une sombre Allemagne, nous voici dans les neiges d’Austerlitz.

Shandy, c’est ce jeune Anglais qui, tout en accomplissant son « grand tour », s’est pris de passion pour Napoléon et la geste impériale : c’est d’ailleurs une fresque romantique qu’un Dumas ne renierait pas. Après une première aventure qui s’est achevé tragiquement avec la mort d’Agnès, mystérieuse égérie, notre jeune prosélyte se décide à s’engager dans la Grande armée, et trouve son mentor en la personne du général Ragon, honnête officier de dragons qui sait garder la tête froide et considérer les cœurs avant de regarder les passeports. Le contact entre les deux hommes passe, au point que Shandy risque sa vie pour sauver celle de son chef (et récupère dans l’affire une légion d’honneur de la main de l’aigle lui-même). Mais alors que la Grande Armée va livrer bataille à l’Autriche, Shandy croise de nouveau la route de son ennemi juré, Dorigo, devenu aide de camp de l’empereur et toujours aussi soupçonneux quant aux raisons qui poussent un jeune Anglais à s’engager dans l’armée française. On retrouve également une Agnès manifestement revenue d’entre les morts (mais la jeune femme semble avoir de la ressource). Il lui faudra donc compter sur sa bonne foi et son audace pour démêler l’écheveau d’intrigues qui s’abat de nouveau… tout en survivant, accessoirement, à la bataille d’Austerlitz.

Le scénario de Matz est, comme d’habitude, perlé : il faut dire qu’après Le Tueur et le tout récent Cyclopes, on n’en attendait pas moins et le résultat est de fait séduisant. Matz s’avère aussi à l’aise dans le passé d’un jeune Anglais, que dans le présent d’un assassin professionnel ou le futur d’un soldat d’élite. Les aventures se poursuivent, les péripéties s’enchaînent comme dans un (bon) roman feuilleton à l’ancienne. Il y a quelque chose de Stendhal et de la Chartreuse de Parme dans cette fresque napoléonienne, et particulièrement cette bataille mémorable, vue par le petit bout de la lorgnette. On pourrait également y voir du Ridley Scott (celui de Duellistes) dans ce duel entre deux ennemis intimes sur fond de campagne militaire enneigée. Il faudrait encore chercher nombre de références, tant l’album est riche d’impressions, d’ambiance, de bruit, mais cela ne ferait que différer le constat qui s’impose, celui du talent manifeste du couple Bertail/Matz, qui signent là l’une des plus belles séries du moment. On se prépare pour la campagne de Russie et le passage de la Bérézina ?

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 24/03/2006 )
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