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Bande dessinéeet Aventure  

Le Peuple des endormis (tome 1)
de Didier Tronchet et Frédéric Richaud
Dupuis - Aire Libre 2006 /  13.50 €- 88.43  ffr. / 56 pages
ISBN : 2-8001-3824-6
FORMAT : 23 x 31 cm

De l’ombre à la lumière

On ne peut que faire confiance à la sensibilité d’un écrivain dont le goût le porte, puisqu’il y a consacré plusieurs écrits, sur les œuvres de René Daumal et de Luc Dietrich. Frédéric Richaud est l’auteur de plusieurs romans, dont ce Peuple des endormis, à paraître en janvier, au moment d’ailleurs où sortira le deuxième tome de ce diptyque mis en images par Tronchet.

Le Peuple des endormis mêle aventure, roman historique (l’action prend place au siècle de Louis XIV) et roman d’initiation, puisque le héros, Jean, est un jeune homme – à l’époque, on ne dit pas encore « adolescent » ? qui s’émancipe peu à peu du joug maternel, de la rigueur de son précepteur et de la folie douce de son père. Celui-ci consacre sa vie et épuise toutes ses forces à parfaire, au fond d’une cave qui lui sert d’atelier, sa technique de taxidermiste. Il décide d’y initier son fils, dont il a relevé le don pour le dessin. Il travaille pour le marquis de Dunan, un pittoresque aristocrate qui se damnerait, le fat, pour être reconnu à la cour du Roi Soleil.

A la mort du père, Jean supplie le marquis de l’emmener avec lui dans son expédition en terre africaine, au Sénégal. Son talent de dessinateur ne permettra-t-il pas à Dunan de faire au Roi la plus belle offrande, en déposant à ses pieds non pas quelques spécimens, mais tous les animaux d’Afrique ? C’est ainsi que Jean quitte la noirceur de sa vie parisienne et échappe au collège de jésuites auquel le destinait son précepteur. Une autre vie commence pour le timide Jean, qui découvre tout à la fois les premiers émois de l’âme auprès d’une jeune Sénégalaise, et le cynisme du vaste monde.

Voilà un album remarquable ! Immense qualité d’écriture, personnages hauts en couleurs, profondément humains et attachants jusque dans leurs bassesses, souffle de l’aventure et naissance d’un être… que demander de plus ? Tout est réuni, harmonieusement et intelligemment agencé, pour donner un futur « classique ». On n’attendait pas forcément Tronchet pour ce genre d’album, mais le père de Jean-Claude Tergal et Raymond Calbuth avait déjà montré, à travers ses collaborations avec Anne Sibran notamment (Là-bas, voir notre article), que son trait si particulier, épais, un peu brouillon, un peu gras pour tout dire, pouvait déborder de sensibilité et de finesse quand l’histoire l’exige. Tronchet a l’art, par un détail, de traduire toute la vérité d’un personnage : le permanent sourire à pleines dents du marquis de Dunan, le « coq » ; les yeux ronds et parfois l’absence de bouche de Jean, l’« être à venir » ; la gueule cassée du gouverneur du Sénégal, le « blasé » ; la bouche tombante du précepteur, le « pisse-froid »…

Frédéric Richaud, quant à lui, n’avait fait jusqu’à présent qu’une seule incursion en bande dessinée, en scénarisant le très beau Maître de Peinture, avec Makyo et Faure. Jamais deux sans trois, dit-on : espérons que le dicton ne mente pas !

Anne Bleuzen
( Mis en ligne le 17/10/2006 )
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