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Bande dessinéeet Les grands classiques  

Tout Jijé (tome 18) - 1942-1945
de Jijé
Dupuis 2010 /  28 €- 183.4  ffr. / 304 pages
ISBN : 978-2-8001-4655-3
FORMAT : 30x22 cm

Deux en un

Les collectionneurs n’en pouvaient plus. Avec ce double et dernier volume du Tout Jijé, ils vont pouvoir enfin compléter leur étagère et lire ou relire les années de guerre du maître.
Rappelons que Joseph Gillain, dit Jijé, est le fondateur de l’école de Marcinelle, le père et le grand-père adoptif de tous les auteurs publiés aux éditions Dupuis. Celui qui forma Franquin, Will ou Giraud, excusez du peu. Un monstre sacré qui n’eut jamais autant de gloire populaire que de reconnaissance dans le milieu de la bande dessinée.
Il y avait vingt ans que les éditions Dupuis avaient commencé cette collection en l’honneur de leur patriarche, reprenant chronologiquement et avec de riches documents la quasi-totalité des œuvres de Jijé publiées par eux entre 1938 et 1977. Mais au fil du temps les albums se sont espacés, la vieillesse du matériel imposant de plus en plus de préparations techniques. Et ces dernières années, la ligne patrimoniale de Dupuis a pris une direction différente, dirigée vers les personnages plus que vers les auteurs. Jijé y est présent lui aussi, à travers une magnifique intégrale de Jerry Spring en noir et blanc ou très récemment un fac-similé de Spirou et l’aventure.

Il est donc tout à l’honneur de la maison d’édition d’être allée malgré tout au bout de sa démarche, en posant cette dernière pierre du Tout Jijé, quitte à rassembler les deux derniers volumes en un pour en finir plus vite. On s’étonne pourtant de cette incohérence qui juxtapose sous la même couverture deux recueils, chacun munis d’une préface qui se répète parfois, et répondant à des choix de reproduction différents et arbitraires. En effet, si les années 1942-1943 sont remontées, retouchées et retravaillées avec des couleurs modernes, les années 1944-1945 sont livrées telles quelles sous forme de fac-similé, ce qui est plutôt curieux compte tenu de la continuité entre tous ces récits.
Au-delà de ce bémol éditorial, l’album ravira tous les nostalgiques. On retrouve ici, entre autres événements historiques, les premières aventures de Valhardi, la reprise officielle de Spirou par Jijé et l’arrivée de Fantasio à ses côtés. De quoi saliver. Il faut y rajouter une biographie de Christophe Colomb et de très nombreux documents : couvertures et illustrations en tous genres, reprise pointilleuse des travaux de Jijé pour les différents journaux des éditions Dupuis.

C’est une page passionnante de l’histoire de la bande dessinée, voire de l’histoire de la Belgique, retracée avec érudition par Thierry Martens dans les préfaces. Le journal de Spirou est alors en plein chaos, essayant de se glisser entre les pénuries de papier et les interdictions de l’occupant. Jijé s’adapte à des formats, des périodicités et des contraintes mouvantes. Il est alors le dessinateur-à-tout-faire de la maison, et fait flèche de tout bois.
Son dessin réaliste, encore jeune et cloîtré dans des cases réduites, n’est pas aussi impressionnant qu’il le sera dans Jerry Spring. Mais sa vigueur et son inventivité éclatent surtout dans sa reprise de Spirou. Spirou et l’aventure, succession mythique d’épisodes échevelés, nous propose un voyage dans le temps véritablement aérodynamique, où les foules, les gratte-ciels et les fusées se multiplient. Jijé expérimente, cherche de nouvelles mises en page, s’essaye même à une couleur directe originale. Dessinées dans l’urgence et sans penser à la postérité, ces planches brillent par leur fraîcheur.

Bien sûr, un jeune lecteur de 2010 aurait sans doute du mal à se retrouver dans ce style daté, aux relents de colonialisme et de sexisme ; la morale y a une grande place, la vie de Christophe Colomb nous est racontée comme celle du Christ et Jean Valhardi porte des culottes de golf. Mais il y a pourtant une grande modernité dans ces pages : Jijé y fait preuve d’un joyeux second degré, convoquant dans ses histoires Tif et Tondu, Blondin et Cirage ou l’équipe du journal. Il annonce surtout Chaland et le style Atome qui fleuriront après lui.
L’amateur de bandes dessinées ne doit pas passer à côté de ces pages. Il ne le regrettera pas.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 13/12/2010 )
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