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Bande dessinéeet Adaptation  

Le Suédois
de Christophe Gaultier
Futuropolis 2009 /  18 €- 117.9  ffr. / 96 pages
ISBN : 978-2-7548-0222-2
FORMAT : 19x27,5 cm

D’après le roman de Stephen Crane The Blue Hotel.

Neige charbon

Ils sont finalement assez rares les huis clos en bande dessinée. En adaptant le roman de Stephen Crane, Christophe Gaultier nous plonge dans une longue nuit de tension, de mystère et de violence soudaine. L’histoire se déroule en 1898, au Nebraska. Descendus du train, trois hommes pénètrent un hôtel isolé à l’entrée de la ville. C’est une nuit glaciale et venteuse, et cet hôtel peint en bleu, même s’il est d’un aspect lugubre reste le seul refuge possible pour les voyageurs, un phare dans la nuit pour touristes égarés. À l’intérieur, les discussions timides commencent entre les hommes, le directeur de l’hôtel et son fils. Chacun semble marcher sur des œufs. L’un surtout, un Suédois (ou est-ce un Hollandais ?), intrigue tout le monde par son comportement décalé et inquiétant. La nuit ne fait que commencer, longue et pleine d’imprévus.

À l’origine du Suédois, il y a donc un court roman (une longue nouvelle) de Stephen Crane, The Blue Hotel publié en 1898. Gaultier en a suivi scrupuleusement la trame, y a ajouté des dialogues, quelques passages (la tentative de suicide du Suédois dans sa chambre), en a coupé quelques autres. Le bref épilogue, par exemple, est absent de la bande dessinée et fait donc se terminer l’album de façon abrupte, singulière, dans la droite logique de ce qui précède. Christophe Gaultier a réussi à retranscrire la tension qui règne d’un bout à l’autre du texte de Crane. L’intrigue est resserrée, les personnages restent des silhouettes fantômatiques mais bien présentes, et l’enfermement qui pèse sur chacune d’elles est particulièrement bien saisie. Comme dans le roman, les sautes d’humeur et les revirements brutaux du Suédois sont étonnants, surprenants. Si chez Crane il y avait beaucoup d’inquiétude fébrile chez le personnage, c’est ici une folie menaçante qui est avant tout présente, jusque dans le regard bleu exorbité constamment mis en avant.

Pour l’occasion, Gaultier a renforcé son trait. Exit le trait sec et nerveux du Cirque aléatoire ou de Robinson Crusoé, finis les aplats de couleur de Sans un bruit. Ici, c’est le retour au charbon, la neige noire comme en écho aux paysages ensevelis à l’extérieur. Les fonds sont chargés, afflux de matière comme des couches d’air chargé, empesé. C’est l’odeur de la poudre. Taches, traces et autres grains qui viennent supporter un trait plus grossier (mais toujours expressif). À cette touche épaisse et grasse, Gaultier appose des couleurs franches et tranchées. C’est d’abord le gris bleu d’une nuit venteuse, puis le rouge d’un séjour réchauffé par un poêle. Pas de demi-mesures, et un traitement des ambiances rugueux, solide. Le tout est franchement réussi (jusqu’à la couverture, superbe), mais encore faut-il accepter le rythme de lecture, lent et lourd, préconisé par l’auteur, savoir lire ces silences, et accepter ces pointes de suspension…

On ne comprendra finalement pas grand-chose de ce qui se passe ici. Entre la folie et la paranoïa, le rêve et la réalité, c’est une drôle de nuit qui se déroule. Une nuit qui termine le dix-neuvième siècle, la conquête de l’Ouest, ses morts et ses âmes perdues, ses cow-boys et ses émigrants. C’est déjà un monde en crise, enfermé dans un hôtel, avec tous ses fantômes.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 31/03/2009 )
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