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Bande dessinéeet Adaptation  

La Farce de Maître Pathelin
de David Prudhomme
Actes Sud - l'An 2 2017 /  18 €- 117.9  ffr. / 128 pages
ISBN : 978-2-330-08134-8
FORMAT : 17x19 cm

Couleurs: Alexandre Clérisse

Dans ta farce

La bibliographie de David Prudhomme ne manque pas de diversité, et ses livres relèvent tous de plaisirs différents. Cette réédition de La farce de Maître Pathelin, publiée pour la première fois il y a dix ans, nous montre un dessinateur toujours malicieux et inventif, mais pour une fois au service du répertoire classique.

Pour adapter ce texte anonyme du quinzième siècle, Prudhomme choisit la forme animalière : Guillemette a les traits et la sagesse de l'éléphant, le marchand trompé la figure d'un mouton. Ces bêtes dessinées sans paresse nous renvoient à un monde encore semi-rural, où les troupeaux et les oies avaient bonne place, mais donnent aussi au livre une allure de fable. Une vignette, en passant, compare le récit à celui du corbeau et du renard. Et de tous ces mensonges successifs, on pourrait tout à la fois conclure que « tout trompeur vit aux dépens de celui qui l'écoute » et « Trompeurs, c'est pour vous que j'écris, attendez-vous à la pareille ». D'ailleurs la farce semble parfaitement convenir à notre époque moderne, riche en beaux parleurs et en hypocrites de tous poils. Mais il ne s'agit pas vraiment ici de choisir une morale. La Farce de Maître Pathelin est d'abord, comme son nom l'indique, une courte pièce comique, ou on s'encanaille à vouloir tromper les autres avec le héros, puis à le vouloir pris. Le juge n'y comprend rien, et le droit et la justice n'existent qu'à grand peine face à l'amusement et à la force du verbe.

Prudhomme nous livre respectueusement le texte modernisé de la pièce, osant toutefois y ajouter un aparté et en retirer quelques obscurités. Il se pose en illustrateur d'un dialogue fécond : pour livrer la quantité nécessaire de ces tirades riches de leur propre rythme, il opte pour une mise en page régulière, tout en bousculant son système d'une scène à l'autre. Le gaufrier classique cède donc la place à des vignettes horizontales, puis verticales, avant de revenir au gaufrier. Poussé dans ses retranchements par la contrainte, le dessinateur enrichit sa forme de variations originales, jouant sur les hachures, le cadrage, la forme de la bulle, les changements d'échelle ou la voix off. Parfois il retire son visage à un des protagonistes. Il s'amuse incidemment à ajouter un calembour. Le texte n'en souffre pas, mais la lecture y gagne en fantaisie.

L'audace la plus remarquable vient de la juxtaposition de chaudes vignettes modernes avec des imitations de gravures médiévales, où les rues sont rendues sans perspective. La bichromie d'Alexandre Clérisse achève d'y donner une élégance ancienne. Les personnages eux-mêmes entrent dans ce jeu de références : avec son long nez, le personnage de Pathelin évoque tout à la fois les oiseaux cons de Chaval, un masque vénitien ou une de ces souches photographiées sur la jaquette. Au lecteur de choisir – ou pas – entre satire et mise en abyme, il trouvera ici l'énergie joyeuse d'un dessin riche en imaginaire.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 15/09/2017 )
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