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Bande dessinéeet Jeunesse  

Les tableaux de l’ombre
de Jean Dytar
Delcourt Musée du Louvre 2019 /  14.95 €- 97.92  ffr. / 72 pages
ISBN : 978-2-4130-0819-4
FORMAT : 22,6x29,8 cm

Les toiles mystérieuses

Jean Dytar, il y a vingt ans, a eu une révélation en visitant le Louvre : les personnages des tableaux sont bien vivants, clignent des yeux, et s’animent lorsque personne ne les voit. Une fois adulte, l’auteur décide de faire connaître les allégories hollandaises qui l’ont séduit et les prend pour héros de sa charmante bande dessinée. Où on apprend que les tableaux de second ordre en ont assez de leur anonymat et décident de faire la révolution : les plus humbles d’entre eux entreprennent alors de destituer la Joconde. Dans le branle-bas de combat, le musée se divise entre les respectueux de l’ordre, pacifiques et patients, et les soldats politisés bien décidés à en découdre.
Le tableau qui prend vie à l’insu de ses observateurs est un thème classique de dessins animés. Après de nombreux cartoons sur le sujet, Prévert et Grimault en ont donné dans La Bergère et le ramoneur une version emblématique reprise ensuite dans Le Roi et l’Oiseau. En bande dessinée, c’est une séquence du Fantôme Espagnol, une aventure de Bob et Bobette, qui fait office de référence, avec un vocabulaire narratif équivalent. Difficile en tous cas pour un dessinateur moderne de reprendre ce thème sans verser dans le cliché ; Dytar y parvient en multipliant les clins d’œil au monde contemporain et en maniant ses personnages avec une bonne dose de cynisme, loin de la mièvrerie des faux poètes de cellulos. Ainsi passe la Joconde, lunettes noires et regard droit, encadrée par des gros bras pour repousser les chasseurs d’autographes. Les chefs-d’œuvre médiatiques ne sont souvent que des images bouffies d’orgueil, tandis que des petits bijoux pleins de charme passent inaperçus. Surtout, les questions soulevées sont authentiques : le sens du vedettariat et la qualité des relations humaines.

À la lecture, l’ambiance révolutionnaire trouve un écho inattendu en ces temps de Gilets Jaunes. Le ruissellement vaut-il pour la hiérarchie artistique, et le chef-d’œuvre est-il un premier de cordée ? La question n’est pas si innocente, quand on considère que le format choisi pour ce récit est celui d’une bande dessinée et que la coédition est assurée par le Louvre. L’art noble, qui hier encore n’acceptait de bulle dans ses rangs que recopiée par Lichtenstein, en assure maintenant la réputation et s’y associe de plus belle – au risque d’une perte de sens dans certains pans de l’édition. La question demeure : la culture populaire doit-elle avancer avec, ou contre celle des puissants ?
Choisir un vieux cliché du dessin naïf a donc une portée toute symbolique. C’est escalader le Louvre avec les armes du cartoon, mais aussi lui venir en aide avec un bagage culturel plus léger. David au secours de Goliath, en somme. C’est aussi assumer un héritage puéril avant de tenir un discours adulte, parvenir à toucher son lecteur en optant pour le simple de l’élégant et l’élégant du simple. Pour une fois qu’il s’adresse aux enfants, Dytar semble ici beaucoup plus prosaïque, plus pédagogue peut-être, que dans ses autres ouvrages ; mais il ne manque pas pour autant de subtilité.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 15/05/2019 )
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