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Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Commode - L'empereur gladiateur
de Eric Teyssier
Perrin 2018 /  23 €- 150.65  ffr. / 359 pages
ISBN : 978-2-262-07041-0
FORMAT : 14,2 cm × 21,2 cm

L’Hercule commodien

Sur la couverture, il apparaît figé dans le marbre, la barbe et les cheveux frisottants, un énigmatique sourire aux lèvres, la tête encapuchonnée de la mâchoire d’un lion qui semble prêt à l’engloutir, et sur l’épaule, nonchalamment posée, la massue avec laquelle il aura sans doute terrassé le fauve. Telle est l’image de Commode qui a traversé les siècles, allant jusqu’à s’imposer à l’aube du XXIe siècle dans un péplum comme Gladiator où se cristallise, sinon son impressionnante stature physique, du moins sa légendaire cruauté.

Éric Teyssier – déjà biographe d’éminentes figures de l’Antiquité comme Scipion ou Spartacus et spécialiste patenté de l’univers jusqu’à lui fort méconnu de la «gladiature» – a rouvert le dossier du dernier des Antonins, et ses recherches permettent non seulement de rendre consistance à un personnage dont la vie est fort peu documentée, mais aussi de ressusciter une époque déterminante de l’histoire de la civilisation romaine, annonciatrice de son déclin.

D’emblée, Teyssier dresse l’inventaire des principaux témoignages concernant Commode. Parmi les contemporains de l’empereur, on en rencontre un rédigé en latin par Dion Cassius, qui lui fut très hostile, et un autre en grec, plus distancié, dû à Hérodien. Un large chapitre de l’Histoire Auguste, riche en détails, est également consacré à Commode, mais cette somme lui est postérieure de près de trois siècles. Outre trois autre fugitives mentions, c’est là tout ce dont nous disposons en guise de documents écrits sur ce règne pour le moins ténébreux.

Teyssier a donc dû user d’autres sources, livresques ou non, pour nourrir son travail. Pour en saisir le contexte intellectuel, il puise dans les lettres philosophiques que le père de Commode, le fameux Marc-Aurèle, adresse à Fronton. Il «réincarne» son sujet en s’inspirant de la vision développée par Galien, médecin officiel de la cour, dans ses savants traités d’anatomie. Enfin, il interroge l’idéologie impériale en sondant l’iconique et la sémantique des bustes, des pièces de monnaie, des inscriptions, des ruines.

Le résultat est captivant. L’ouvrage nous replonge dans les rouages d’un Empire en voie d’essoufflement, rongé par la corruption, victime de sa démesure et de sa propre inflation. Il retrace aussi la destinée fulgurante de ce fils issu d’une fratrie de douze enfants, dont l’existence sera marquée jusqu’en ses derniers instants par les complots, les trahisons, la folie, le sang.

Commode se voulut pourtant un héros, à la dimension d’un nouvel Hercule. L’un des chapitres les plus étonnants du livre est d’ailleurs celui que Teyssier consacre à la fascination qu’entretint toujours Commode envers le «bâtard d’essence divine», à qui il s’identifiait d’autant plus facilement que la rumeur le disait issu des amours de sa mère avec un gladiateur. Commode ira ainsi jusqu’à mettre en scène dans l’arène sa version des «Douze travaux», en faisant rejouer par de pauvres hères estropiés, voués au massacre, la chasse aux oiseaux du lac Stymphale ou le combat contre l’hydre de l’Herne.

Prétendant donc être un demi-dieu, Commode ne fut plus tout à fait humain, mais un dépravé absolu, plus intéressé par ses chevaux que par son peuple. Son nom, s’il ne signe pas l’acte de décès de l’Empire, marque en tout cas selon Teyssier «la fin du caractère durable de la Pax romana».

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 03/12/2018 )
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