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Rome, l'Arcadie et la mer des Argonautes - Essai sur la naissance d'une mythologie des origines en Occident
de Jacqueline Fabre-Serris
Presses universitaires du Septentrion - Mythes, imaginaires, religions 2008 /  23 €- 150.65  ffr. / 250 pages
ISBN : 978-2-7574-0034-0
FORMAT : 16cm x 24cm

L’auteur du compte rendu : Yannick Durbec, professeur agrégé de Lettres Classiques, Docteur ès Lettres, enseigne en Lettres Supérieures et a publié une édition des fragments poétiques de Callimaque aux Belles Lettres, ainsi que plusieurs articles dans des revues de philologie.

Exemples d’un usage romain de l’héritage grec

J. Fabre-Serris analyse dans ce brillant essai la médiation romaine dans les phénomènes de transmission culturelle entre la Grèce et l’Europe. L’auteur étudie les images des origines auxquelles sont associées l’Arcadie et la mer des Argonautes, en tant qu’elles constituent deux exemples d’un usage romain de l’héritage grec.

La première partie du livre est consacrée aux Arcadies romaines. À la fin de la République, les Romains sont convaincus que des Arcadiens émigrés s’étaient autrefois installés dans le Latium. Cette croyance s’enracine dans les récits sur le passé de l’Urbs. Denys d’Halicarnasse s’attache à prouver que Rome a des racines grecques. Le Latium aurait été le lieu d’une double émigration arcadienne : la première serait celle de l’Arcadie sauvage et la seconde celle des premiers temps de la civilisation. Dans l’Énéide, l’évocation de l’Arcadie, à travers la rencontre d’Énée et d’Évandre, permet à Virgile de rattacher au Latium pré-troyen les valeurs du peuple romain. Ovide, par les liens établis entre Faunus, Hercule et les Fabii, invite à réévaluer la version virgilienne, favorable aux Iulii. À l’arrière-plan de l’Arcadie pastorale des poètes se trouve le De rerum natura de Lucrèce, premier texte à présenter la conjonction de trois motifs : les vestigia comme signe d’une présence divine, l’association de la naissance de la poésie aux temps pastoraux, l’idéal d’un chant dont la nature est le modèle. Tibulle et Properce réintroduisent les fables et l’amour, qui avaient été exclus par Lucrèce.

Pour comprendre le mythe arcadien, J. Fabre-Serris analyse ensuite la poésie pastorale léguée par la poésie hellénistique, qui a survécu à Rome en tant que laboratoire de réflexion sur l’amour et la poésie. Au Ier siècle av. J.-C., période de crise où les fondements identitaires sont redéfinis, le mythe arcadien se diffuse dans les jardins et sur les fresques des villas. Une des lignes de force du mythe arcadien est la triade mort-compassion-souvenir, telle qu’elle s’exprime par exemple dans la Bucolique 10 de Virgile. L’auteur interprète la peinture de la «Maison de Jason», qui représente Pan et les nymphes, à la lumière de cette lecture du mythe. Le sentiment de séparation, de nostalgie, qu’évoquent les poètes se traduit en peinture par la construction d’un ailleurs. Les paysages «sacro-idylliques» comportent une scène topique : l’arrivée près d’un sanctuaire de visiteurs, qui semblent ainsi n’avoir aucun contact avec les bergers qui habitent les lieux. Avec les Métamorphoses d’Ovide apparaissent les fictions concernant l’Arcadie. Les deux composantes essentielles de la vie arcadienne sont l’art et le désir. L’Arcadie sauvage est le symbole de la réalité originelle du désir et l’Arcadie pastorale représente sa sublimation dans l’art.

La deuxième partie du livre, plus brève, est consacrée à la première mer traversée : la «mer des Argonautes». L’idée que l’ordre de la nature fut bouleversé par la navigation effectuée par Jason et ses compagnons sur la nef Argô apparaît pour la première fois dans le Carmen 64 de Catulle. Chez Catulle, contrairement à Ennius et à Euripide dans leurs Médée, la navigation est présentée comme un progrès. Pour le poète qui chante les amours de Thétis et de Pélée, la quête de la toison d’or est l’ultime événement qui précéda la séparation définitive des hommes et des dieux, ce que confirme Virgile, dans la quatrième Bucolique. Avec l’arrivée en Colchide se termine l’Âge d’or, et un cycle de violence et de passions se met en place. Médée est le paradigme de la passion féminine sauvage. L’abattage des pins du Pélion est le noyau primordial du mythe, tandis que la traversée ouvre la voie à la maîtrise du monde et que la rencontre de Jason et de Médée symbolise la destruction des cadres sociaux. Le mythe des Argonautes a donc permis aux écrivains latins de penser leurs rapports à l’autre.

Ce livre remarquable et du plus grand intérêt pour qui s’intéresse aux mythes en tant que constructions symboliques s’inscrit dans le prolongement des recherches de J. Fabre-Serris sur la réécriture des mythes aux Iers siècles avant et après J.-C.

Yannick Durbec
( Mis en ligne le 02/09/2008 )
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