L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Violences et passions dans le Paris de la Renaissance
de Diane Roussel
Champ Vallon - Epoques 2012 /  28 €- 183.4  ffr. / 392 pages
ISBN : 978-2-87673-603-0
FORMAT : 15,5 cm × 24,0 cm

Robert Muchembled (Préfacier)

L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye est professeur agrégé et docteur en histoire moderne.


Tout Paris est ici !

Avec raison, la collection «Époques» des éditions Champ Vallon suit un courant historiographique en plein renouveau consacré à la violence des sociétés modernes et aux stratégies sociales et institutionnelles mises en œuvre pour la juguler. Il y eut Michel Nassiet en 2011 (La Violence, une histoire sociale. France XVIe-XVIIIe siècles), convaincu que la baisse de la violence dans la sphère sociale dépendait des modifications des structures familiales, puis Vincent Millot (Un policier des Lumières) qui nous présenta une somme sur les savoirs et les méthodes policières dans le Paris du XVIIIe siècle. Aujourd’hui, Diane Roussel, en se plongeant dans la violence parisienne au XVIe siècle, parachève ce tableau d’une manière aussi érudite que brillante.

La tâche de l’historienne était loin d’être aisée au regard des lacunes gigantesques des fonds judiciaires parisiens pour cette époque. Il y avait évidemment les registres du Parlement de Paris, aussi labyrinthiques que foisonnants, mais souvent muets sur les hommes et les femmes que tâchait d’atteindre Diane Roussel, ces travailleurs de la boutique, ces gens de la rue qui, sitôt la nuit venue, s’entassaient dans des appartements minuscules et formaient le fond de la trame sociale de la plus grande ville d’Europe. Pour cette raison, l’étude s’appuie sur les riches collections d’une juridiction de première instance, celle en prise directe avec la vie quotidienne, la justice seigneuriale de Saint-Germain-des-Prés. L’auteur a complété cette série par les lettres de rémissions, envoyées au roi pour lui demander sa grâce offrant autant de récits édifiants que tronqués d’ailleurs sur la vie des Parisiens.

En effet, à lire ce livre, porté par une méthode quantitative sans faille et une foule de cas particuliers exemplaires, le Paris germanopratin semble fort éloigné de la vision apocalyptique laissée par les littérateurs, jamais avares de récits angoissés sur le manque de sécurité chronique de la capitale, multipliant les récits d’homicides faisant de Paris un coupe-gorge infréquentable. Entre 1523 et 1568, Diane Roussel a dénombré 217 crimes de sang soit 7 morts violentes en moyenne par an et un taux d’homicide estimé entre 2,1 et 3,6 pour 100 000 habitants, supérieurs à la France d’aujourd’hui (0,7) mais bien inférieur à celui des États-Unis qui s’élève à 6. Dans ces pages, il est donc surtout question de querelles de voisinage, d’agressions verbales et physiques, de vols. Le portrait-robot du délinquant est quant à lui confondant de régularité : il s’agit souvent de jeunes gens, récemment arrivés en ville et en marge de l’atelier.

À partir de ce constat, l’auteur démontre habilement le fonctionnement d’une justice qui aime moins manier la sanction que s’ériger en institution réparatrice de l’ordre social, attachée principalement à la conciliation entre les parties par des jugements de «bon père de famille». La réparation de la faute passait par la réaffirmation de l’ordre social, en s’appuyant sur des autorités naturelles : la parenté, le maître dans son atelier ou dans les immeubles où le principal locataire avait la tâche de fermer la porte à heure fixe décidant des entrées et des sorties de chacun. La force du consensus social plaçait l’institution judiciaire non pas en surplomb, mais en arbitre des dignités de chacun. Le chapitre 7 («Un langage relationnel : rituels de l’agression et conduites de l’honneur»), de loin le plus brillant et le plus neuf dans un livre d’une qualité déjà exceptionnelle, montre parfaitement que la culture de l’honneur, à l’origine de la plupart des agressions, n’était pas partagée par les seuls nobles, mais par le plus grand nombre.

C’est d’ailleurs grâce à des travaux de cette qualité, qu’on comprend que l’Ancien Régime, avant d’être un régime politique, était d’abord une organisation sociale sur laquelle reposait, comme une flaque d’huile à la surface d’un lac, un imaginaire politique, reflet d’une réalité sociale consensuelle. À l’autoritarisme du principal locataire répondait l’arbitraire royal et aux légitimes corrections des compagnons par les maîtres, le droit laissé au roi d’évoquer en son conseil n’importe quelle affaire judiciaire de son royaume.

Diane Roussel nous donne donc à lire un livre important, loin des images stéréotypées d’un XVIe siècle saisi par les guerres de Religions, dont les conséquences sont absentes des registres germanopratins, remplis plutôt des menus larcins qui faisaient la vie des quartiers, vie sans doute assez paisible grâce au contrôle de tous sur chacun, vie contraignante aussi, mais vie passée dans la certitude d’un ordre social immémorial, idée assez exotique à nos consciences démocratiques.

Matthieu Lahaye
( Mis en ligne le 08/01/2013 )
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