L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Le Roi, la cour et Versailles - Le coup d'éclat permanent. 1682-1789
de Alexandre Maral
Perrin - Pour l'Histoire 2013 /  25 €- 163.75  ffr. / 520 pages
ISBN : 978-2-262-03520-4
FORMAT : 15,4 cm × 24,2 cm

L'auteur du compte rendu : Charles-Eloi Vial est conservateur au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.

Coup d'Etat - coup d'éclat

Il est rare de lire un ouvrage d'histoire qui soit à la fois une synthèse et une avancée dans la recherche : en étudiant, sur un long siècle, l'histoire de la cour de France au château de Versailles, Alexandre Maral a magistralement réussi à allier les deux, dans un ouvrage appelé à devenir une référence sur la cour, mais qui sera aussi un guide indispensable pour tous les curieux de l'histoire du château. Après une décapante mise au point historiographique et méthodologique, l'introduction, intitulée «Versailles, mode d'emploi», pose d'entrée un des enjeux du livre, qui est de mettre à nu les mécanismes de la cour et leur signification.

Les premiers chapitres évoquent ainsi les journées du roi, les loisirs et les fêtes, mis en perspective dans le cadre d'une conception globale de la représentation du pouvoir politique, détaillant la mise au point progressive du quotidien ritualisé de la cour, la mise en place du personnel, des officiers et des commensaux, l'organisation complexe de la Maison du roi, et enfin la façon dont les appartements du château ont été constamment adaptés à de nouveaux usages, puis réaménagés et redécorés afin de cadrer avec les évolution tant du goût que du cérémonial. Plusieurs autres pages importantes, consacrées à l'administration de l'État et à son évolution parallèle à la Cour, à l'articulation entre les cérémonies et le travail du gouvernement, à la constitution, au sein du monde des courtisans, de dynasties de ministres et d'administrateurs, sont aussi particulièrement éclairantes sur la pratique du pouvoir par les rois successifs. D'autres passages sur les peintures, les statues ou les jardins font heureusement écho à la mise en place d'une dialectique du pouvoir inventée par Louis XIV et perpétuée avec faste par ses successeurs.

Le plan choisi dévoile avec subtilité l'articulation entre les lieux, leurs utilisations et leurs occupants : telle partie sur l'évolution de la répartition des appartements du château trouvera ainsi des échos plusieurs pages plus loin, dans un chapitre consacré aux relations au sein de la famille royale, et dans un autre sur le poids politiques des courtisans et les différentes «cabales», chaque installation d'un prince, d'un courtisan ou d'une favorite dans un appartement traduisant une inflexion dans la vie de la cour, ou encore l'apparition d'un courant d'opinion ou d'un nouveau centre d'influence à proximité du pouvoir.

En revenant sur l'histoire de Versailles et de ses occupants, Alexandre Maral embrasse d'un seul regard les enjeux politiques, diplomatiques, curiaux, mais aussi artistiques, qui sous-tendent la sédentarisation de la Cour dans le château construit pour Louis XIV. Car il s'agit autant d'un «coup d'État» que d'un «coup d'éclat» : en sédentarisant la cour près de Paris, Louis XIV met fin à des siècles d'errance du pouvoir entre l'Île-de-France et la vallée de la Loire, procure à l'administration d'Ancien Régime en pleine centralisation un espace pour ses bureaux, et attire la noblesse du royaume dans un véritable «piège» : une prison dorée, véritable machine à engendrer du faste et de la solennité. L'auteur développe certaines idées déjà exposée dans l'exposition ''Louis XIV : l'homme et le roi'', organisée à Versailles en 2009, sur la part de responsabilité du roi dans la mise en place de la lourde étiquette de Versailles, avec un développement intéressant : Versailles n'avait rien d'une fatalité pour l'Ancien Régime. Ni Louis XV, ni Louis XVI ne furent obligés d'habiter le château, et c'est bien par choix qu'ils y firent leur résidence, au détriment de Paris. De même, il étudie les évolutions de l'étiquette non pas comme des simplifications ou des signes de déclin de la Cour, mais comme des ajustements, voulus et réfléchis par les monarques, fidèles jusqu'au bout à un certain modèle «louis-quatorzien» dans la représentation et la pratique du pouvoir.

D'atout pour la monarchie, Versailles devint peu à peu un piège, ce que révèlent les derniers chapitres sur le château dans les mois qui précédèrent la Révolution : au lieu de prendre l'avantage en venant de lui-même résider dans la capitale en prenant la tête du mouvement révolutionnaire, ou de tenter le coup de force en se réfugiant loin de Paris, Louis XVI préféra rester à Versailles, par inertie. De coup d'éclat, Versailles était devenu une habitude, une évidence pour une monarchie incapable de réinventer un autre modèle que celui mis en place par le roi-soleil.

La conclusion du livre, sur les destinées du château aux XIXe et XXe siècles, est tout aussi intéressante, en revenant sur les échecs des monarques qui tentèrent de réinvestir le château, des projets de Napoléon à l'ambitieux, mais si détesté musée de l'histoire de France de Louis-Philippe, avant la mise en place de l'actuel musée national de Versailles : la force du discours royal, toujours présent dans les murs, semble ainsi avoir empêché toute réappropriation complète du château par un régime ultérieur. Le «coup d'éclat» dévoilé et analysé par Alexandre Maral, subsiste encore aujourd'hui.

Charles-Eloi Vial
( Mis en ligne le 25/02/2014 )
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