L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Versailles, une histoire naturelle
de Grégory Quenet
La Découverte 2015 /  19 €- 124.45  ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2-7071-8494-8
FORMAT : 13,5 cm × 21,9 cm

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Louis XIV. Homme et roi (Tallandier, 2012), Fontainebleau. Mille ans d'histoire de France (Tallandier, 2013).

Un essai d’écologie historique

Pour le visiteur, pour la majorité des historiens, Versailles est d’abord un édifice de pierre, le palais de Louis XIV et de ses successeurs. Mais pour le roi-soleil et ses contemporains, Versailles était tout autant un domaine qu’un bâtiment, un immense territoire comprenant jardins, petit parc et grand parc, royaume en réduction consacré aux promenades et à la chasse.

Fascinée par le propos architectural du château et de ses abords, l’historiographie «versaillologique» a quelque peu oblitéré le «grand Versailles» qu’avait conçu Louis XIV. Il a fallu l’intérêt récent pour l’art des jardins et l’œuvre de Le Nôtre, la thèse d’Éric Soulard sur les eaux de Versailles, les somptueux livres illustrés publiés par Jacques de Givry et l’étude de référence de Vincent Maroteaux, Versailles, le roi et son domaine (2000), pour renverser la perspective.

Grégory Quenet s’inscrit dans la lignée de ces travaux tout en les infléchissant vers ce que l’on pourrait désigner comme un essai d’écologie historique. Le Grand Parc constitué par Louis XIV est envisagé comme un écosystème original, créé par l’homme et fondamentalement instable. Canaux et rigoles amènent l’eau dans un territoire qui en manque, perturbant la circulation des hommes et des animaux. Afin de créer une réserve de chasse, une enceinte de 40 kilomètres, percée de vingt-quatre portes, isole un périmètre qui n’est pas assimilable aux anciennes forêts domaniales, car l’habitat humain et les cultures l’emportent sur les surfaces boisées, qui croissent au cours du XVIIIe siècle.

On répète volontiers la célèbre formule de Saint-Simon sur «l’orgueilleux plaisir de forcer la nature», mais Grégory Quenet nous révèle les limites de cet «absolutisme environnemental». Menacés de comblement, canaux et rigoles sont en perpétuelle restauration ; les eaux usées s’évacuent avec peine. On voudrait favoriser la croissance du gros gibier, mais rats, lapins, corneilles et hiboux pullulent. Le gibier est tantôt trop rare, tantôt trop abondant.

Si le pouvoir absolu du roi sur son Grand Parc n’était apparent, ce dernier fut pourtant bien compris comme un symbole de l’absolutisme. Sitôt la révolution commencée, tous les Français se découvrirent chasseurs et le gibier versaillais fut victime d’opérations massives de braconnage qui éradiquèrent la population animale en trois ou quatre années. Le Grand et le Petit Parcs furent partiellement aliénés entre 1793 et 1803. Victimes, avance Grégory Quenet, de la charge symbolique attachée aux chasses royales, mais aussi d’une nouvelle conception des rapports entre nature et culture.

Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 23/06/2015 )
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