L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Les Premières lois imprimées - Etude des actes royaux imprimés de Charles VIII à Henri II (1483-1559) (
de Xavier Prévost
Ecole nationale des chartes - Mémoires et documents 2018 /  34 €- 222.7  ffr. / 340 pages
ISBN : 978-2-35723-100-9
FORMAT : 16,0 cm × 23,5 cm

Patrick Arabeyre (Préfacier)

L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer est conservateur général aux Archives nationales et professeur associé à l'université de Paris I. Elle a notamment publié : Richelieu (Flammarion, 2004), La Double mort du roi Louis XIII (Flammarion, 2007), Monsieur Descartes (Flammarion, 2010), ainsi que Rendez à César. L'Eglise et le pouvoir. IVe-XVIIIe siècle (Flammarion, 2017).


L’impression de la loi

C’est à l’évidence la publication scientifique d’une thèse qu’un ouvrage qui débute par 50 pages d’énumération (impeccable − tout comme les quelques 80 pages d’annexes qui terminent le volume) de sources et de bibliographie, captatio benevolentiae qui, au-delà de son austérité, mérite de retenir l’attention du lecteur curieux et de bonne volonté. Car il ouvre à l’histoire bien des domaines qui rejoignent nos centres d’intérêt contemporains : la passion française de la loi exposée à une période clé de l’organisation administrative du royaume de France et les problèmes de la communication avec ce «changement de paradigme» que fut en son temps l’imprimerie et qui régna pour plusieurs siècles sur la diffusion de l’écrit. En l’espèce, «il s’agit de s’interroger sur les rapports entre l’apparition d’un marché des actes royaux imprimés et le processus législatif. L’impression de la législation a en effet produit une véritable impression sur la législation, et ce dès le début de l’époque moderne» (p.65).

Une époque qui justifie l’actuelle relecture qu’en font les historiens : en effet, le règne et sans doute la personne de Charles VIII méritent assurément mieux que la condescendance dont on les gratifie ordinairement. Didier Le Fur, notamment, a bien montré que ce règne quasi épique méritait d’être réévalué à la hausse, au-delà de l’étrangeté du roi avant tout marquée par sa fascination italienne. La réorientation de la politique étrangère française qu’il a impulsée a non seulement éloigné la guerre du territoire du royaume, mais surtout constitué une ouverture sur le monde, avec des conséquences culturelles et artistiques majeures qui font qu’on le considère plus volontiers comme marquant l’entrée de la France dans la modernité. Le titre de «Père du peuple» décerné en 1506 à son successeur, Louis XII, célèbre un exemple de modération et de bonne gestion, ainsi qu’un profond renouvellement des représentations du mode de gouvernement royal. Avec François Ier, échecs et inconséquences de la politique extérieure sont estompés par une action culturelle qui profite à la gloire d’un roi autoritaire, une tendance que prolonge Henri II aux prises avec la progression de l’hérésie.

Histoire du droit et des institutions, diplomatique, histoire du livre…, Xavier Prévost prend place parmi les chercheurs érudits qui, depuis quelques années, renouvellent l’image de cette «première» modernité, aux côtés notamment d’Anne Rousselet-Pimon (Le Chancelier et la loi au XVIe siècle d’après l’œuvre d’Antoine Duprat, de Guillaume Poyet et de Michel de L’Hospital, Paris, De Boccard, 2005), Cécile Grange (L’Elaboration des lois sous Henri II. Éléments d’une étude du pouvoir royal au milieu du XVIe siècle, thèse soutenue en 2005 à l’École des chartes) ou encore, pour la période des guerres de Religion, Sylvie Daubresse (Le Parlement de Paris ou la voix de la raison (1559-1589), Genève, Droz, 2005).

Il s’appuie sur un corpus tiré des collections imprimées de la BNF où il sélectionne 386 entrées correspondant à 277 actes royaux imprimés dont le premier date de 1491. Dans la ligne des grands devanciers que furent les auteurs des Ordonnances des rois de France − dont on rappelle que la définition avait pragmatiquement varié au fil des volumes – et après François Olivier-Martin (Les Lois du roi, 1943) et le grand historien Edmond Esmonin, pionnier en ce domaine comme en beaucoup d’autres («La Publication et l'impression des ordonnances sous l'Ancien Régime», 1949), il en précise les limites de forme (impressions à l’unité, à l’exclusion des recueils) et de contenu (lettres patentes en commandement).

La multiplication d’exemplaires sur papier facilitant la diffusion est à l’origine d’un marché que le roi contrôle par le moyen du privilège. Xavier Prévost s’attache précisément à montrer que cette forme matérielle nouvelle emporte des conséquences sur la fréquence et la forme des actes de plus en plus nombreux à être ainsi divulgués. À l’étude exhaustive de ce corpus on pourrait maintenant souhaiter des prolongements : une extension de l’acte royal à l’arrêt de règlement dans la foulée des travaux de Philippe Payen pour le XVIIIe siècle (Les Arrêts de règlement du Parlement de Paris au XVIIIe siècle. Dimension et doctrine, Paris, PUF, 1997. − La Physiologie de l'arrêt de règlement du Parlement de Paris au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1999) et d’Axel Degoy pour le XVe («Le Parlement de Paris, le roi et la norme pendant la nomination anglo-bourguignonne (1418-1436) de quelques implications pratiques du discours parlementaire à la fin du moyen âge», 2009) – les cours se sont-elles souciées de son impression ? −, une mise en relation avec la collection manuscrite de référence, l’enregistrement du Parlement de Paris (dans lequel, on le rappelle au préfacier, se trouve bel et bien l’original sans doute le plus connu de l’édit de Villers-Cotterêts enregistré le 6 septembre 1539), enfin une extension chronologique, notamment au règne d’Henri III qui, contrairement aux apparences, dans les années 1577-1584, a sérieusement travaillé à mettre fin à la course aux expédients et a voulu une profonde réforme de son administration.

C’est dire toute la richesse et le potentiel des problématiques mises en œuvre dans ce savant ouvrage.

Françoise Hildesheimer
( Mis en ligne le 11/03/2019 )
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