L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Carlo Vigarani, intendant des plaisirs de Louis XIV
de Jérôme de La Gorce
Perrin - Les métiers de Versailles 2005 /  20.50 €- 134.28  ffr. / 273 pages
ISBN : 2-262-02334-4
FORMAT : 17x22 cm

L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV).

Les brillants plaisirs du Soleil

«Je veux parler de l’opéra […] Bien des gens ont pensé à vous et à moi. Je ne vous l’ai point dit parce qu’on me faisait Cérès et vous Proserpine ; tout aussitôt voila M. de Grignan Pluton et j’ai eu peur qu’il ne me fit réponde vingt mille fois par son chœur de musique :
Une mère Vaut-elle un époux ?»


Ainsi apparaît l’opéra Proserpine (1680) chez Mme de Sévigné : les spectacles sont vus, commentés, discutés, ils sont sujets à plaisanteries et à identifications. Ils sont au centre de la vie de cours. Pourtant, si les peintres, les architectes ou les compositeurs de Versailles sont souvent bien connus du grand public, il est un type d’artiste qui ne jouit pas de la même renommée : précisément ceux qui ont contribué à l’organisation des fêtes données par le roi et à la création de leurs éléments de décoration éphémères. C’est cet oubli que vient combler cet ouvrage consacré à Carlo Vigarani. Il s’agit avant tout d’un livre destiné à un large public qui saura s’émerveiller devant les fastes du Roi Soleil mais l’historien et l’historien de l’art y apprendront beaucoup.

Ce volume s’insère dans une collection dirigée par Béatrix Saule, conservatrice en chef au château de Versailles, qui doit étudier la vie quotidienne du palais en présentant les divers métiers qui permettaient à la cour de fonctionner. Il s’agit de nous faire découvrir les coulisses de Versailles. On comprend donc que cet ouvrage n’est pas tant une biographie de Vigarani qu’une étude de son activité d’architecte, d’ingénieur, de décorateur, d’organisateur des fêtes et des plaisirs de la cour du Roi Soleil.

Carlo Vigarani est né en 1637 à Modène. Son père, Gaspare, était surintendant des bâtiments du duc souverain de cette ville. Architecte et créateur de machines, il initie ses fils à ces arts et emmène avec lui le jeune Carlo en France en 1659. Il a alors l’occasion de collaborer à la construction d’un théâtre aux Tuileries, supervisée par Mazarin, et aux décors d’un premier spectacle créé pour la cour, l’Ercole Amante. On confie à Carlo l’organisation du petit opéra, Xerse; il acquiert ainsi peu à peu la confiance du cardinal et du roi : il ne fera plus que de courts séjours à Modène, d’autant plus qu’il est nommé en 1662 «ingénieur du roi». Se succèdent alors de nombreux spectacles, Le Ballet des Arts, Le Mariage forcé ou Les Amours déguisés qui mêlent danse, musique et machines. Mais sa renommée provient surtout de l’organisation des Plaisirs de l’île enchantée, la plus célèbre fête donnée par Louis XIV, à Versailles, connue dans toute l’Europe par les estampes qui en sont tirées.

Son activité ne se réduit pas à cela: il crée notamment les décors des principales pièces de Molière et poursuit son activité d’architecte en concourant face à Perrault ou Le Vau pour les agrandissements du château de Versailles ; son champ d’activité s’élargit même encore quand Lully lui propose une association à la tête de l’Académie royale de musique. Vigarani est devenu un personnage incontournable de la cour, Louis XIV lui accorde des lettres de naturalité et les Théatins lui passent commande d’un décor pour leur église. Cependant, bien que marié à une jeune Française d’une famille de robe apparentée aux Bouthillier et devenu seigneur de Saint-Ouen, près d’Amboise, l’architecte connaît un échec avec la salle des ballets de Versailles, qui ne verra jamais le jour, et le décorateur est peu à peu évincé. Vigarani se retire à partir de 1690 pour mourir en 1713.

Malheureusement, le style de l’auteur et sa manière de mener son récit sont contestables. Sous prétexte de rendre l’ouvrage plus vivant, des petits faits psychologisants censés «faire vrai» sont mêlés en assez grand nombre au discours de l’historien (On apprend ainsi que quand Louis XIV félicita Vigarani, «ce compliment fit rougir le jeune Carlo» - p.32). Ces remarques deviennent vite exaspérantes et n’apportent rien au récit. Surtout, on peut reprocher à ce volume de se montrer trop narratif et, partant, de ne pas répondre aux questions que le lecteur peut se poser. Le livre ne prend pas toujours assez de recul par rapport aux faits et tombe parfois dans un catalogue de descriptions des différentes fêtes organisées par Vigarani. On aurait aimé au contraire que l’auteur fasse revivre le monde qui grouillait autour de ces fêtes, qu’il analyse les processus de création, le rôle de la fête à Versailles, les rapports entre ingénieurs et artistes, le statut d’un tel homme dans la société de cour.

Mais ne perdons toutefois pas de vue que ce livre est l’œuvre d’un historien de l’art et que son propos est avant tout de présenter l’œuvre de Vigarani. Dans cette optique, le travail effectué par Jérôme de La Gorce est intéressant et fouillé. L’auteur a consulté de nombreux documents d’archives non encore utilisés ou peu connus afin de retrouver les décors ou les plans de l’architecte. Une liste exhaustive des dessins et plans de Vigarani est d’ailleurs donnée en annexe, elle complète utilement le volume.

Ces annexes sont pourtant de qualités inégales. On sait gré aux éditeurs de nous fournir un cahier de photographies en couleur permettant au lecteur d’apprécier par lui-même les talents de décorateur de Vigarani ; les plans des théâtres dont il est fait mention dans le corps du texte sont d’une grande aide. On regrettera en revanche l’absence d’index et le renvoi des notes, trop peu nombreuses, en fin de volume.

Malgré ces quelques défauts, tout lecteur se réjouira de découvrir celui qui participa à la construction de la légende de Versailles, le collaborateur de Molière et de Lully : le curieux sera intéressé par le rendu fidèle des soirées du grand roi, l’étudiant en histoire ou en histoire de l’art apprendra bien des détails sur la vie de ce personnage trop oublié. L’ouvrage, s’il n’est pas assez abouti, a le mérite de poser de solides jalons en attendant un approfondissement des connaissances sur Gaspare et Carlo Vigarani lors d’un prochain colloque – tenu à la fois à Versailles et en Italie – qui lui sera consacré au début de l’été.

Rémi Mathis
( Mis en ligne le 27/05/2005 )
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