L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV - Alliances et réseau d'influence sous l'Ancien Régime
de Charles Frostin
Presses universitaires de Rennes - Histoire 2006 /  25 €- 163.75  ffr. / 597 pages
ISBN : 2-7535-0289-7
FORMAT : 16,5cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu : Archiviste paléographe, Rémi Mathis est conservateur stagiaire des bibliothèques, en formation à l’ENSSIB. Il prépare une thèse de doctorat sur Simon Arnauld de Pomponne à l’Université de Paris-Sorbonne, sous la direction de L. Bély.

Individualité et collectif au Grand Siècle

Chacun d’entre nous a étudié à l’école primaire le règne de Louis XIV, où les familles Colbert (Colbert, Seignelay, Croissy, Torcy…) et Le Tellier (Le Tellier, Louvois, Barbezieux…) se partageaient le pouvoir au détriment du roi. Beaucoup moins connue du grand public – et pourtant fondamentale – est la troisième grande famille ministérielle, les Phélypeaux. Il est vrai qu’ils ne brillent pas particulièrement sous les ors de Versailles : rares sont les Phélypeaux appelés au Conseil d’En-haut.

Pourtant, à travers leurs deux grandes branches, les La Vrillière et les Pontchartrain, neuf membres de la famille demeurent secrétaires d'État de 1610 à 1781. D’une part se développe la branche aînée, celle des La Vrillière. Grâce au soutien de son frère Paul Phélypeaux de Pontchartrain, l’ancêtre de cette branche, Raymond Phélypeaux d’Herbault (1560-1629) devient secrétaire d'État des Affaires étrangères et de la Religion prétendue réformée (RPR) sous Richelieu. Ces descendants perdent la main sur la diplomatie mais gardent la main sur la RPR jusqu’à la veille de la Révolution, à travers Louis Phélypeaux de La Vrillière (1599-1681), Balthazar Phélypeaux de Châteauneuf (1638-1700), Louis II Phélypeaux de La Vrillière (1672-1725) et Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin (1705-1777) qui – suprême honneur – obtient l’érection de la terre de La Vrillière en duché et le département de la Maison du roi.

La seconde branche a sans doute joué un rôle plus grand encore dans les affaires publiques. Paul Phélypeaux de Pontchartrain (1569-1621) profite de la nomination de secrétaires d'État en 1588 pour se rapprocher de Louis Revol. Cette protection puis celle de Villeroy lui permettent d’accéder à une charge de secrétaire d'État (1610-1621). Son fils Louis Ier Phélypeaux de Pontchartrain ne bénéficie que partiellement de cette carrière car c’est son oncle Raymond Phélypeaux d’Herbault qui récupère la charge de secrétaire d'État en 1621. Louis devient toutefois président de la Chambre des comptes mais il s’aliène Colbert lors du procès Fouquet, ce qui met un coup d’arrêt à sa carrière. En revanche, son fils, Louis II Phélypeaux de Pontchartrain (1643-1727) est avec son fils la véritable gloire de la famille. Bien que la rancune de Colbert lui vaille de longtemps rester simple conseiller au Parlement, il finit par être nommé premier président du parlement de Bretagne juste après la Révolte du papier timbré, dans une province où la Parlement joue un grand rôle en l’absence d’intendant. Devenu intendant des finances en 1687, le roi lui confie peu après le contrôle général et les deux départements de la Marine et de la Maison du roi. Il est chancelier pendant quinze ans.

Son fils Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain (1674-1747) prend naturellement sa succession comme secrétaire d'État : les deux hommes collaborent jusqu’à la mort de Louis XIV. Mais la politique maritime menée par Jérôme est remise en cause par la Régence, qu’il n’est pas parvenu à se concilier. La branche s’éteint au XVIIIe siècle en la personne de Jean-Frédéric Phélypeaux de Maurepas (1701-1781), fils de Jérôme de Pontchartrain, dont la carrière est parfaitement atypique : ayant obtenu la survivance de son père dans des conditions difficiles, il est secrétaire d'État de la Marine et de la Maison du roi pendant trente ans avant de connaître une disgrâce. Contre toute attente, il est rappelé en 1774 et ce vieillard fait office de principal ministre jusqu’à son décès.

Le livre de Charles Frostin porte sur les deux grands Pontchartrain ministres de Louis XIV, c'est-à-dire sur Louis II et sur Jérôme. Mais désirant avant tout étudier leur parcours sous un angle social, il fait une large place à leurs ancêtres (chapitres 1, 2 et partiellement 3 et 4) et à leurs descendants (chapitre 11 et partiellement 10). Si les figures de Louis II et Jérôme demeurent centrales, l’auteur s’attache principalement à mettre en valeur les nombreuses familles qui ont permis l’élévation des Pontchartrain et qui gravitent autour des deux secrétaires d'État. À cet égard, le sous-titre de l’ouvrage est sans doute plus évocateur que son titre même : Alliances et réseau d’influence sous l’Ancien Régime.

Et il est vrai que ce livre met remarquablement en valeur les riches réseaux, les nombreux liens de famille, d’amitié et de fidélité qui ont permis aux Phélypeaux de s’élever socialement. Chaque nouvel intervenant est replacé dans le contexte de sa famille et de ses alliés. Frostin montre ainsi comment la famille, originaire de Blois, bénéficie de la sollicitude de certains rois pour la ville ligérienne, notamment à l’occasion des états généraux de 1588 (chapitre 1 et 2). Puis le réseau se diversifie, dans la robe parisienne mais également du côté de financiers et de gros traitants (chapitre 2 et 3). En s’agrégeant à l’élite du royaume, la famille s’ouvre à la haute noblesse de robe et surtout d’épée (chapitre 5). De très nombreux tableaux généalogiques permettent de mieux suivre ces développements. L’étude trouve cependant peut-être sa limite dans sa qualité même : son caractère extraordinairement fouillé a tendance à cacher les principales lignes de force du réseau Pontchartrain.

Les chapitres sur le ministère des deux hommes amènent sans doute plus d’éléments aux historiens du Grand Siècle. Jérôme possède pendant plusieurs années la survivance de son père (1693-1699), puis il dirige les deux départements dont il a la charge alors que Louis II est devenu chancelier (1699-1714). Cela entraîne une nécessaire collaboration entre les deux Pontchartrain dont Ch. Forstin retrace les modalités grâce à l’étude de leur correspondance : le lecteur y apprend beaucoup sur la collaboration au plus haut niveau de l’État, et les rapports entre ministres (chapitre 6). De même l’étude de la correspondance administrative de Jérôme de Pontchartrain (chapitre 8) est riche et éclairante sur la réalité de l’action quotidienne des secrétaires d'État.

L’étude de Charles Frostin est volontairement partielle et laisse encore la place à d’autres études sur les Pontchartrain. Mais en se centrant sur une approche sociale, il montre avec rigueur l’importance d’un système d’alliance sur près de deux siècles et les diverses modifications qui le touchent. L’auteur articule finement cette étude avec celle des deux fortes personnalités de Louis II et Jérôme de Pontchartrain afin de déterminer la part de l’individuel et du collectif dans leur parcours social et politique. Il souligne ainsi une fois de plus combien toute réussite passe forcément, sous l’Ancien Régime, par des modalités collectives et entraîne à sa suite la montée d’autres lignages (les Voyer d’Argenson ou les Daguesseau pour Pontchartrain). Est-il alors si étonnant que malgré le changement de paradigme, malgré l’apparition de la société démocratique, l’influence des alliances d’Ancien Régime ne disparaisse pas tout à fait au XIXe siècle ?

Rémi Mathis
( Mis en ligne le 25/07/2007 )
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