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Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Nouvelle histoire du premier empire - Tome 4 - Les Cent Jours - 1815
de Thierry Lentz
Fayard 2010 /  27 €- 176.85  ffr. / 599 pages
ISBN : 978-2-213-63808-9
FORMAT : 15,3cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

Napoléon : suite et fin

Dans des vers éloquemment intitulés «Le Héros», le poète russe Pouchkine évoque comme suit Bonaparte : «Lui, toujours lui – ce parvenu armé devant qui les rois s’abaissèrent, que la liberté couronna, qui s’en fut, ombre de l’aurore» (Alexandre Pouchkine, Poésies, Gallimard, Paris, 1994, pp.140-141). Un peu plus loin, il décrit comment Bonaparte défia les affres de la peste, lors de sa visite du camp de Jaffa en 1799 durant la campagne d’Egypte, pour réconforter ses soldats accablés par le terrible fléau : «Je vois, continue l'écrivain russe, une rangée de lits et, sur chacun, un mort vivant marqué par la peste puissante, cette impératrice des maux. Et lui que cerne une mort peu martiale, l’œil sombre, il marche entre les lits, il étreint la main de la peste, rallumant chez l’agonisant l’allégresse. Le ciel m’est témoin que l’homme qui risqua sa vie devant la maladie lugubre, pour ranimer un regard mort, je le jure, est aimé du ciel, quelque arrêt que sur lui prononce la terre aveugle…» (Ibid., p.142).

Prométhéen, le destin qu'a connu Bonaparte ne laisse pas de susciter à la fois recherches et publications. Certes de façon moins lyrique que le romancier russe, Thierry Lentz s’est attelé pendant une dizaine d’années à la rédaction d’une «Nouvelle histoire du Premier Empire» en quatre volumes. D'une très grande rigueur scientifique et d'une érudition historique tous azimuts, le dernier tome est consacré à la fin du Premier Empire, alors que le Professeur de droit public entendait initialement se limiter à l’étude du «système continental napoléonien » stricto sensu, c’est-à-dire du couronnement jusqu’à l'abdication de Fontainebleau et au traité de Paris. Préférant in fine inclure dans son analyse le «dernier acte de l’épopée», parce que «Napoléon et son idée impériale sont restés au cœur des préoccupations et des inquiétudes européennes» (p.7), Thierry Lentz divise pour ce faire son propos en trois grandes parties : d'abord les négociations du congrès de Vienne, puis le récit de «l’homme de l’île d’Elbe» (p.281), pour reprendre l’expression du tortueux «diable boiteux », et le naufrage de la restauration impériale.

L'auteur commence donc par décrire l’Europe sans Napoléon. En vertu du traité de Paris, les puissances européennes se réunirent à Vienne afin de sauvegarder la sécurité du continent, par l'établissement d'un savant équilibre rendant impossible à toute nation d'envisager une guerre victorieuse. «Les rivalités traditionnelles, les ambitions séculaires et les vieilles craintes, écrit cependant Thierry Lentz, soit les forces profondes de l'histoire européenne débarrassées de l'alibi de la croisade antinapoléonienne, reprirent toute leur vigueur» (p.13), si bien que la coalition et plus particulièrement les quatre grands (la Grande-Bretagne, la Russie, l'Autriche et la Prusse) péchèrent à maintes reprises par incohérence et désunion. Fort habilement, Talleyrand en profita pour faire passer la France du statut de trublion du jeu européen à celui d'arbitre qui «ne demande rien, mais apporte quelque chose d'important, le principe sacré de la légitimité». «Par la simple force du raisonnement et de la puissance des principes», écrivit Talleyrand, la France «rompit une alliance qui n'était dirigée que contre elle». Gentz reconnaîtra plus tard que Talleyrand «renversa tous leurs plans sans espoir» (Harold Nicolson, Le Congrès de Vienne, Hachette, Paris, 1947, p.148). Seul le retour de Bonaparte sur le trône ressouda la coalition...

Thierry Lentz poursuit en évoquant la vie concrète de l'Empereur déchu sur l'Île d'Elbe, puis détaille les raisons qui motivèrent son retour en France et la reconquista du trône que Louis XVIII s'était entre-temps approprié. A cette fin, il utilisa la rhétorique révolutionnaire lors de ses proclamations «au peuple français » pour dénoncer le retour des Bourbons «dans les fourgons de l'étranger» et stigmatiser la concentration du pouvoir entre les mains d'un «petit nombre d'individus, ennemis du peuple». Certes l'odyssée de l'Empereur du Golfe-Juan jusqu'à Paris ne fut pas sans vicissitude, mais «l'aigle, avec les couleurs nationales, vola de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame» (p.291). L'Empire rétabli, Napoléon s'échina à libéraliser le régime. L'Europe ne voulant plus de Napoléon, la guerre était pourtant inévitable. Fragile, la construction napoléonienne n'y survécut pas. Ce qui permit le retour de «Louis deux fois neuf» (p.532) à la tête du pays. Ainsi prirent fin les «Cent-Jours» !

Conjuguant «défaite militaire, désastre diplomatique, catastrophe financière, déchirures intérieures et réémergence durable de la question de la légitimité du pouvoir en France» (p.552), l'auteur considère la restauration impériale comme négative. Toutefois, Bonaparte tira profit de son exil à Sainte-Hélène et du sort qui lui fut fait. «Il jeta les bases d'un phénomène rarissime : l'écriture de l'histoire par le vaincu» (p.553).

Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 18/05/2010 )
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