L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

De la guerre
de Napoléon Bonaparte et Bruno Colson
Perrin 2011 /  26 €- 170.3  ffr. / 540 pages
ISBN : 978-2-262-03630-0
FORMAT : 15,3cm x 24cm

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Vauban : l'intelligence du territoire (2006, en collaboration), Les Ministres de la Guerre, 1570-1792 : histoire et dictionnaire biographique (2007, dir.).

Le livre qui n’existait pas

Un inédit de Napoléon, un traité consacré par l’Empereur à l’art de la guerre : c’est l’idée que donne de cet ouvrage sa superbe et trompeuse couverture. Mais sitôt le livre ouvert, l’illusion se dissipe. Il ne s’agit pas d’un livre intitulé De la guerre écrit par Bonaparte mais d’un habile montage imaginé par un historien contemporain.

Bruno Colson est parti de la similitude, souvent soulignée, entre la pratique stratégique et tactique de Napoléon et l’élaboration théorique formulée par Clausewitz dans son Vom Kriege, publié à titre posthume en 1832. Partant de ce parallèle, il a repris le plan du traité de Clausewitz pour mettre en ordre les écrits et les propos de Napoléon en rapport avec la guerre.

Le résultat est infiniment séduisant mais totalement fallacieux. Il est d’abord risqué de mettre sur le même plan une conception intellectuelle d’ensemble, dont la cohérence est voulue (même si le traité de Clausewitz est demeuré inachevé), et une pratique militaire qui s’étend sur près d’un quart de siècle et est pour une grande part dictée par les circonstances. En faisant entrer dans les cases prévues par Clausewitz les réflexions éparses de Napoléon, il est par trop aisé de prouver ce que l’on souhaite démontrer : à savoir la résonance de l’œuvre de l’un avec l’action de l’autre.

Mais la faiblesse majeure du dispositif inventé par Bruno Colson est ailleurs. Faute d’écrits théoriques de l’Empereur, l’historien est contraint de puiser à toutes sources : correspondance générale de Napoléon, mémoires détachés, Mémorial de Sainte-Hélène, témoignages et propos rapportés par des familiers. Or ces différentes sources n’ont pas le même statut ni la même valeur. Seules les lettres de Napoléon peuvent être considérées comme exprimant la pensée du stratège à un moment donné – et encore ! Qu’il soit général, premier consul ou empereur, le héros n’hésite pas à se contredire, à grossir ses effets, à se donner en spectacle, à jouer du personnage de «grand homme» et de génie militaire que lui ont reconnu ses contemporains.

Quant aux autres sources, elles doivent être maniées avec davantage de précaution encore. Tout ce qui est écrit a posteriori, par Napoléon ou ses contemporains, est déformé par la connaissance des événements postérieurs à ceux qui sont rapportés et par des intentions politiques ou apologétiques. Les «propos de table» reflètent autant sinon plus les opinions des compilateurs que celles de leur auteur supposé. Ainsi chacun accommode-t-il Napoléon à sa sauce : révolutionnaire, monarchiste, nouveau Robespierre, homme d’ordre, tyran à l’orgueil démesuré, stratège visionnaire, etc. Sans qu’il soit besoin de recourir à une critique fort poussée, il suffit de comparer le style de la correspondance et celui de certains propos rapportés pour se convaincre que ces derniers sont tout droit sortis de l’imagination d’un mémorialiste.

Bruno Colson sait tout cela et l’expose fort clairement dans son introduction, mais le génie propre de son entreprise le contraint à s’appuyer sur les «maximes» de l’Empereur, quelle qu’en soit la provenance, aussi bien que sur les écrits issus de sa pratique. On lira donc ce livre avec beaucoup de plaisir mais sans oublier qu’il s’agit d’une ingénieuse fiction, qui ne saurait se substituer aux conclusions à tirer d’un examen serré des sources primaires.

Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 06/12/2011 )
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