L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Pie VII face à Napoléon : la tiare dans les serres de l’Aigle - Rome, Paris, Fontainebleau. 1796-1814
de Christophe Beyeler et Collectif
RMN 2015 /  39 €- 255.45  ffr. / 247 pages
ISBN : 978-2-7118-6247-4
FORMAT : 22,1 cm × 27,9 cm

Jean-François Hebert et Vincent Droguet (Préfacier)

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Louis XIV. Homme et roi (Tallandier, 2012), Fontainebleau. Mille ans d'histoire de France (Tallandier, 2013).


Le Pape et l’Empereur ou la réunion des contraires

Le régime napoléonien est le lieu de tous les paradoxes : il sauve la Révolution et établit une monarchie, il instaure un droit nouveau et donne tous les pouvoirs à un seul homme, il prétend réunir anciens régicides et nostalgiques des Bourbons, il restaure la religion catholique et la persécute. En bon héritier de Voltaire, Bonaparte s’affiche catholique de raison davantage que chrétien de cœur. Il faut, pense-t-il, de la religion pour le peuple et pour assurer l’ordre dans l’État. À côté des préfets et des généraux, il faut des évêques, mais ce seront des «préfets violets», soumis au Premier Consul puis à l’Empereur. D’où, au sortir de dix ans de Révolution, quinze années de rapports ambigus entre Église et État et la difficile naissance d’un «régime concordataire», qui va durer pendant un siècle… et qui régit toujours l’Alsace et la Moselle.

Telle est la fascinante histoire que nous conte ce somptueux volume, qui est aussi le catalogue d’une exposition tenue au château de Fontainebleau du 28 mars au 29 juin 2015, deux siècles après la chute du Premier Empire, en braquant l’objectif sur les deux principaux protagonistes du drame : Napoléon et le pape Pie VII.

Une première section nous ramène aux années tumultueuses du Directoire. En France, la religion catholique a perdu toute reconnaissance officielle. En 1797, le pape Pie VI doit céder à la République française, par le traité de Tolentino, deux-cents œuvres d’art prestigieuses, qui feront l’orgueil du Louvre et d’autres musées français. Rome n’en est pas moins occupée et le pontife meurt l’année suivante à Valence, prisonnier des Français. L’exposition présente ainsi de magnifiques reliures ayant appartenu à Pie VI, saisies par les armées républicaines… et qui sont demeurées dans les bibliothèques françaises.

Dans un second temps, nous voici introduits dans les négociations qui mènent au Concordat, signé par Bonaparte le 15 juillet 1801. La hiérarchie catholique est rétablie, l’Église retrouve une position dans l’État, mais au prix d’une subordination au pouvoir. Sur le moment, l’événement fut salué comme le principal succès du gouvernement consulaire en politique intérieure, le plus à même de mener à une réconciliation nationale. Tableaux et estampes célèbrent à l’envi un Premier Consul qui assure à la fois la paix intérieure (le Concordat) et la paix extérieure (le traité d’Amiens). Le moment fort de cette réconciliation est la visite du pape en France, de novembre 1804 à mai 1805, à l’occasion du sacre de Napoléon. De rares souvenirs historiques évoquent ce séjour : extraordinaire panoplie liturgique de Pie VII, au décor néoclassique, conservée dans sa famille, et ici reproduite dans tous ses détails ; vêtement de voyage du souverain pontife ; innombrables dessins, tableaux, bustes, médailles et objets divers réalisés en vue ou en souvenir de la cérémonie du sacre.

Mais la lune de miel achoppe sur les prétentions hégémoniques de Napoléon. Pie VII s’oppose-t-il au blocus continental ? On occupe ses États (1808), on arrête le pape et on le transfère à Savone (1809) puis à Fontainebleau (1812). Rome, annexée, est proclamée seconde capitale de l’Empire français. Les dix-huit mois de captivité papale dans le château de François Ier justifient la localisation de l’exposition à Fontainebleau. C’est le moment d’évoquer la «geôle dorée» du successeur de saint Pierre, mais aussi la vaine lutte de Napoléon contre un clergé rétif et une opinion de plus en plus désapprobatrice.

L’Empire s’écroulant, Pie VII regagnera ses États et, peu rancunier, donnera asile aux Napoléonides déchus. Ses deux séjours français auront montré – nouveau paradoxe – que la France révolutionnaire et déchristianisée restait profondément fascinée par la figure pontificale. Étonnante destinée de cette «fille aînée de l’Église», toujours rebelle, toujours prompte à moquer le pape et l’Italie comme à leur demander des chapelets et des rosaires.

Les lecteurs intéressés par l’histoire et l’art des premières années du XIXe siècle auront tout intérêt à se procurer ce volume, dont la maquette est entièrement au service d’un texte riche et précis et d’une iconographie d’une qualité exceptionnelle.

Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 23/06/2015 )
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