L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Le Sacre de Napoléon
de David Chanteranne
Tallandier - Bibliothèque napoléonienne 2004 /  24 €- 157.2  ffr. / 344 pages
ISBN : 2-84734-123-4
FORMAT : 15x22 cm

L'auteur du compte rendu: Natalie Petiteau, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Poitiers, est historienne de la société du XIXe siècle et de la portée des années napoléoniennes. Elle a notamment publié Napoléon, de la mythologie à l'histoire (Seuil, 1999) et Lendemains d'Empire: les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle (Boutique de l'histoire, 2003).
Elle est par ailleurs responsable éditorial du site http://www.calenda.org.


Le 2 décembre 1804, échec politique

Version remaniée d’un mémoire de maîtrise préparé sous la direction de Jean-Claude Waquet, cet ouvrage tente de proposer «une approche globalisante de la fête inaugurale» du régime napoléonien, de ce sacre dont David Chanteranne se plaît à souligner qu’il serait l’apogée du parcours personnel de Napoléon, à mi distance entre Toulon et l’abdication de Fontainebleau.

Mais l’apogée ne se situe-t-il pas plutôt lors de l’entrevue d’Erfurt en 1808 ? A trop vouloir mettre de la symbolique là où il n’y en point, on risque de tomber dans la transfiguration de l’histoire. Reste que ce livre offre une approche claire et pédagogique du sujet ; on appréciera notamment la claire définition des termes «sacre» et «couronnement» dès l’introduction, et le rappel de la façon dont le sacre permet d’être séparé du commun des mortels.

Par ailleurs, l’ambition de l’auteur n’est pas de refaire une description minutieuse de la cérémonie, ce que tant d’historiens ont déjà fait avant lui, mais de proposer une approche relative à ce que Jean Tulard a déjà souligné comme étant «une mise en scène du pouvoir». L’auteur se donne donc pour but de «comprendre, quantifier, soutenir, découvrir et révéler les arcanes» de cet événement en se fondant sur l’étude des symboles et des documents politiques, en comprenant volonté initiale et réalité finale, afin de dégager les motifs profonds de Napoléon et de mettre au jour les procédés de propagande.

Classiquement, David Chanteranne rappelle tout d’abord que Napoléon en vient à l’Empire, officiellement proclamé le 18 mai 1804, en utilisant la menace des complots ourdis contre lui. Tout aussi classiquement, il souligne ensuite combien la symbolique du couronnement et du sacre de Napoléon emprunte à celle de Charlemagne : les insignes arborés le 2 décembre 1804 ont été adaptés de ceux de l’Empereur carolingien, Napoléon ayant notamment renoncé à apparaître porteur de l’épée de Marengo. De plus, la volonté de mêler la religion à cette cérémonie témoigne de l’utilisation de celle-ci comme moyen politique. Les tractations en vue de la venue du Pape, puis le voyage de celui-ci, sont décrits avec minutie, de même que sa rencontre avec Napoléon.

Vient ensuite, de façon là encore fort classique, la description du cadre de la cérémonie – les aménagements et embellissements de Paris sont alors importants – puis de la cérémonie elle-même : placement des invités, luxe des décors et des costumes, conflits si connus entre les frères et les sœurs au sujet des préséances, mariage religieux de Napoléon et de Joséphine, itinéraire du cortège, détail des heures à Notre-Dame, pour lesquelles David Chanteranne met en évidence la part du religieux et celle du laïc. Il consacre du reste ensuite tout un chapitre à l’aspect républicain de la cérémonie. L’Empire est un régime de synthèse, il est vrai, et celle-ci se lit y compris dans le cérémonial du 2 décembre. Le serment constitutionnel qui est alors prêté en témoigne. Mais faut-il voir, comme le fait l’auteur, dans les entorses au cérémonial traditionnel du sacre des rois de France, les preuves d’une «démonstration républicaine» ? En revanche, l’auto-couronnement, qui n’a rien d’une improvisation, témoigne de la volonté de Napoléon d’imposer son sceau sur cet événement qui est aussi syncrétique.

L’apport réel de l’ouvrage réside dans le chapitre V, consacré au «message diffusé» par les brochures, les estampes, les peintures, les musiques, les ouvrages de circonstance : David Chanteranne y voit un «message républicain contenu dans un écrin impérial et monarchique», car le serment constitutionnel prononcé devant les délégués de 36 villes symbolisant la nation assemblée rappelle l’assise plébiscitaire du régime et le pacte conclu entre le chef du pouvoir exécutif et le peuple, auprès de qui circulent en abondance des images du souverain. Pourtant, conclut David Chanteranne, le message politique n’a guère été perçu par les contemporains, si bien qu’en son temps la cérémonie du sacre peut être lue comme un échec.

Car l’image qui est demeurée de Napoléon n’est pas celle du souverain en costume du sacre, mais de l’homme en uniforme militaire : cet échec confirmerait donc que l’Empereur est demeuré le roi du peuple. Mais a-t-il jamais cherché autre chose ? Combien d’heures a-t-il porté ses habits de cour ? David Chanteranne oublie peut-être que Napoléon a toujours cultivé de lui-même une image multiforme, roi du peuple mais aussi souverain se voulant digne de figurer dans le concert des têtes couronnées européennes.

Natalie Petiteau
( Mis en ligne le 21/12/2004 )
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