L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Nelson contre Napoléon - D'Aboukir à Trafalgar
de Anne Pons
Perrin 2005 /  20.50 €- 134.28  ffr. / 295 pages
ISBN : 2-262-02143-0
FORMAT : 14,5cm x 22,5cm

Deux hommes et la mer

Vif, clair, limpide, l’ouvrage est assurément rédigé dans une langue qui le rend agréable. On traverse deux brèves décennies, entre le tout début des années 1790 et la fin des années 1800, sans même avoir le temps de reprendre son souffle, et l’on termine les presque trois cents pages avec le sentiment d’avoir fait un formidable voyage. Bien plus que le récit d’une rivalité d’hommes, même si l’aspect biographique est sans aucun doute très présent, l’auteur réussit ici une présentation passionnante de l’affrontement de deux traditions militaires, et de deux nations dressées irréparablement l’une contre l’autre en ce contexte de guerre européenne. Le personnage inattendu qui fait irruption dans ce récit n’est autre que la mer, cadre omniprésent d’une lutte à mort si politique.

Le dynamisme de la narration n’exclut d’aucune façon une précision factuelle très honnête pour un ouvrage rédigé par une écrivain-journaliste. Si l’on reste, il est vrai, dans une approche historiographique très classique, linéaire, ce récit d’hommes et de dates a le grand avantage d’orner avec élégance et brio un fond de compétition militaire et de bataille industrielle avant l’heure. L’ouvrage est léger, loin de toute prétention, mais sobre et rigoureux.

Les rencontres des deux chefs, l’un anglais, l’autre français, l’un révolutionnaire à sa façon, l’autre monarchiste et aristocrate convaincu, et surtout, l’un artilleur et l’autre marin, commencent dès le siège de Toulon et ne s’achèvent que par la mort, pour victorieux qu’il ait été, de Nelson à Trafalgar. Entre ces deux événements, l’acharnement avec lequel ils tenteront de se détruire et de détruire ce qu’ils représentent est impressionnant, et passe par des moments d’intenses et violents affrontements comme par de longs et froids calculs de construction et reconstruction de leurs flottes respectives.

La passion d’Anne Pons pour les bateaux est ainsi manifeste, et l’index des navires cités dans l’ouvrage est presque aussi important et utile à la compréhension que celui des personnages. Les traditions à l’œuvre dans les deux marines en guerre - ou plutôt les trois, car la flotte espagnole est un élément fondamental de l’armée napoléonienne dans sa lutte contre la Royal Navy -, sont étudiées en détail. L’auteur en montre un tableau précis, que ce soit dans leur rapport général à la société (de quelle considération la marine jouit-elle dans chaque pays, et pourquoi) ou dans leur fonctionnement interne (quelle discipline, quelles valeurs).

On redécouvre aussi les enjeux politiques de l’époque, mais dans une perspective très pragmatique. Carrières politiques, militaires et sociales sont ainsi, en particulier, intrinsèquement liées dans l’exposé qui nous est fait de la formation de chacun des deux chefs. Et lorsque l’occasion de faire des parallèles se présente, l’auteur ne manque pas de les tenter, que ce soit au sens physique ou psychologique. Leur passion dévorante pour leur femme tout comme leur allure physique peu flatteuse à leurs débuts les rapproche, et Anne Pons n’hésite pas à le faire remarquer.

Cependant, l’essentiel du livre tient en des descriptions épiques de batailles au cours desquelles les hommes meurent, les chefs crient, et la démesure des bateaux sombrant en flamme illumine d’un feu irrésistible le cours de la guerre, si bien pensée, mais plus encore si bien faite. Le destin de milliers d’hommes broyés par des batailles qui les dépassent se joue sous nos yeux, et même en en connaissant la fin on ne peut s’empêcher d’espérer, suspendus aux mots de l’auteur, un résultat différent. Et l’on finirait presque par tisser des liens d’amitié avec ces «grands hommes», pourtant souvent peu sympathiques : mais en pénétrant leur logique, on finit par les comprendre.

C’est là tout le talent d'Anne Pons, cette aptitude à retranscrire en termes vivants une réalité lointaine. Bien entendu, sur le plan historiographique, l’ouvrage ne peut se comparer aux grandes biographies littéraires de Napoléon comme celle de Bainville, mais ce n’était pas son but, lequel est lui atteint : on s’est passionné un instant en lisant le récit de rivalités mythiques, et disparues.

Aurore Lesage
( Mis en ligne le 23/12/2005 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)