L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

La Mort en face - Histoire du duel de la Révolution à nos jours
de François Guillet
Aubier - Historique 2008 /  26 €- 170.3  ffr. / 428 pages
ISBN : 978-2-08-222340-9
FORMAT : 15,5cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris X – Nanterre et à l’IEP de Paris.

Mourir dans l’honneur

Quand on entend le mot «duel», les vieux souvenirs d’enfance (studieuse) reviennent au galop : les 4 mousquetaires, les hommes du cardinal, Milady… Dans son étude historique du phénomène, intitulée sobrement La Mort en face, une histoire du duel de la Révolution à nos jours, François Guillet (qui, faute de plus amples renseignements éditoriaux, reste un homme mystérieux) montre déjà que le grand âge du duel ne fut pas le XVIIe siècle mais bien le XIXe, après que la Révolution française a aboli les privilèges et nationalisé la notion d’honneur chevaleresque.

On s’explique donc sur le terrain : épée, sabre, pistolet, le duel a ses outils (et ce n’est pas si facile de trouver une arme dans la France du XIXe siècle), ses lieux (publics ou privés), ses heures (le petit matin, après une nuit de réflexion), ses habitués, ses principes (l’honneur et sa déclinaison minutieuse), ses rituels (le défi, le choix des témoins…) et ses risques (l’auteur travaillant à partir d’archives principalement judiciaire, on découvre que le vainqueur se retrouve souvent devant les tribunaux). Il a aussi ses théoriciens (et ses manuels d’honneur ou d’escrime, nombreux jusqu’à la Belle époque), ses juristes, ses journalistes et ses thuriféraires. Ses victimes enfin (dont la dernière, en 1903, atteste de la fin du genre, la mort de masse étant beaucoup plus porteuse) et ses causes (et l’auteur, usant des manuels d’alors, évoque la taxinomie des injures plus ou moins «mortelles» et l’escalade de la virilité brutale). Le duel est un sujet (littéraire) autant qu’un objet (social et historique) qui – apparemment étroit – ouvre en fait vers des développements larges.

L’ouvrage, déjà, se laisse lire avec plaisir : F. Guillet a la plume aisée et légère mais il sait ne pas céder à l’ironie facile, il n’épouse pas non plus la cause de l’héroïsme ou de l’honneur bafoué… En retrait, dans une posture historienne, il se fait le témoin des engagements, analyse les mots, les gestes, les contextes et replace le tout dans cet immense XIXe siècle, dans une histoire de la virilité, de l’honneur et, plus largement, des mentalités masculines, sans d’ailleurs se limiter à la France (la fin, et la touche comparatiste, laisse envisager un sujet encore plus vaste). Il en explore les variations politiques (le duel comme ultime sursaut de la violence civile dans une ère de modernité et de civilisation), en dégage les versants idéologiques (quid du duel – qui fleure bon l’aristocratie – dans le modèle républicain ?). Analysé comme une contamination militaire dans un siècle militarisant, le duel est un bon reflet de l’évolution des temps.

A mi chemin de l’histoire des mentalités, de l’histoire socio-culturelle et de l’anthropologie historique, cette étude ample présente déjà le charme d’une histoire littéraire et – pour le moins – anecdotique (dans le bon sens du terme), tant les exemples sont développés, disséqués et analysés. Chaque étape est étudiée dans des chapitres qui décomposent le duel et en élargissent les problématiques (le droit et le duel, les armes et leur commerce, les salles d’escrime et le milieu des maîtres d’armes, la presse et les représentations). Sortant du strict affrontement, l’auteur sait, par rebonds, décrire une société bourgeoise qui, repiquant les valeurs de la société de cour à son usage, démocratise le duel, le culte du sang versé et de l’honneur.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 18/06/2008 )
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