L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Haussmann
de Michel Carmona
Fayard 2000 /  25.95 €- 169.97  ffr. / 647 pages
ISBN : 2-213-60637-4

Nouvel Hommage au préfet

En s'attachant particulièrement à trois aspects de l'histoire du Second Empire, l'organisation des institutions, la vie des élites et la politique extérieure, Michel Carmona retrace, avec beaucoup de clarté et de maîtrise, la biographie du grand préfet de Napoléon III. Refusant les polémiques qui ont entouré la carrière d'Haussmann, il suit pas à pas les trois volumes de Mémoires que ce dernier a publiés en 1890, nous proposant au total une biographie presque trop lisse de ce personnage controversé.

Les débuts d'Haussmann sont typiques de ceux d'un préfet du premier XIXè siècle. Né dans une bonne famille, ayant fréquenté les grands lycées parisiens, cet "héritier" a d'abord dû faire montre d'ambition et d'opportunisme, se lançant dans la carrière préfectorale en 1830, dans l'enthousiasme des Trois Glorieuses. Mais il lui fallut surtout faire ses preuves sur le terrain et dans tous les domaines, au gré d'affectations fort diverses: travaux publics à Saint-Girons, contrôle de l'opposition à Toulon, préparation des élections à Auxerre… car à cette époque, le préfet est plus souvent chargé de représenter la majorité au pouvoir que l'"intérêt général".

Ayant réussi à faire accepter le coup d'Etat de décembre 1851 aux Bordelais, Haussmann est, en 1853 -quand Napoléon III et son ministre de l'Intérieur, Persigny, durent choisir un préfet de la Seine capable de mettre en oeuvre leurs projets grandioses pour la capitale- l'un des soutiens les plus fidèles du nouveau régime. La destinée de ce Protestant, athlète retors, finaud et… sans scrupules, épouse alors celle du Second Empire.

Deux ou trois années de labeur acharné lui permettent de lancer de grands projets, avec l'appui des Pereire, qui ont flairé les bonnes affaires permises par la transformation de Paris. La décennie 1860 est moins favorable au préfet: les combinaisons juridiques auxquelles il recourt pour financer ses travaux sont attaquées, et la haute banque, Rothschild en tête, prend sa revanche. Le 5 janvier 1870, Haussmann est sacrifié sur l'autel de l'Empire libéral.

Michel Carmona est plein de sympathie et de respect pour son personnage, dont il restitue la figure ronde et pleine… jusque dans ses maîtresses. Mais son portrait, parfois trop enlevé, manque par moments de nuances : les historiens de Paris, parmi lesquels Pierre Casselle, se sont récemment efforcés de replacer l'oeuvre d'Haussmann dans la continuité de celle de ses prédécesseurs, montrant comment l'ancien préfet, s'attribuant, pour la commodité de son récit, des choix parfois bien antérieurs, s'est efforcé, dans ses Mémoires, "d'apparaître pour la postérité comme l'interlocuteur indispensable et unique de Napoléon III, seul capable de mettre en oeuvre, voire d'influencer, la pensée du souverain". En faisant fi de ces développements historiographiques, Michel Carmona s'inscrit dans une tradition visant à magnifier l'oeuvre d'Haussmann, la plaçant dans la continuité de celle du Premier Empire (pourtant bien hypothétique, si l'on se réfère au Journal de Fontaine, l'architecte de Napoléon Ier) et sous-estimant celle de la IIIè République.

Haussmann a certes organisé les services techniques parisiens, livrant la voie publique aux ingénieurs des grands corps, les immeubles aux Prix de Rome et autres architectes diplômés des beaux-arts, faisant partout triompher luxe et grandeur, ses maîtres mots (devenus un siècle plus tard synonymes du "Paris assassiné" de Louis Chevalier) et contribuant à créer un modèle d'unicité (et d'uniformité).

Faut-il, pour autant, faire de ce redoutable adversaire de l'électricité le seul magicien de la "ville lumière" ?

Jean-Philippe Dumas
( Mis en ligne le 16/06/2000 )
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