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Comment de Gaulle fit échouer le putsch d'Alger
de Maurice Vaïsse
André Versaille 2011 /  19.90 €- 130.35  ffr. / 240 pages
ISBN : 978-2-87495-131-2
FORMAT : 12,3cm x 21,3cm

Le Général et les généraux

Le 23 avril 1961, dans un message à la nation, le Général de Gaulle annonça qu’un «pouvoir insurrectionnel s’était établi en Algérie par un «pronunciamiento» militaire. Les coupables de l’usurpation ont, explique-t-il, exploité la passion des cadres de certaines unités spécialisées, l’adhésion enflammée d’une partie de la population de souche européenne qu’égarent les craintes et les mythes, l’impuissance des responsables submergés par la conjuration militaire». Et le Général de préciser que «ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d’officiers, partisans, ambitieux et fanatiques», lesquels «possèdent un savoir-faire expéditif et limité. Mais ils ne voient et ne comprennent la nation et le monde que déformés à travers leur frénésie. Leur entreprise conduit tout droit à un désastre national».

La prise de pouvoir par l’armée à Alger le 22 avril 1961 fut un véritable coup de tonnerre. Aujourd’hui encore, c’est-à-dire cinquante après, l’évènement fait débat et déchaîne les passions. L’encre coule toujours à flots et les ouvrages traitant cette question sont pléthore. A cet égard, le dernier livre de Martin Vaïsse intitulé, Comment de Gaulle fit échouer le putsch d’Alger, occupe une place tout à fait particulière. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai. En 1983, déjà, il a avait écrit Alger, le putsch. Au cours de son introduction, M. Vaïsse explique que la question présentait à l’époque de son premier ouvrage un caractère «brûlant». Les «silences de certains ouvrages, les refus de témoigner» qu’il a essuyés ainsi que «les airs entendus de ceux qui savent et ne veulent pas dire» ont quelque peu entravé l’enquête de l’auteur, qui avoue s’être heurté à cause de tout cela à «un problème à la fois documentaire et méthodologique».

Mais le temps faisant peu à peu son œuvre, vingt-sept ans plus tard, l’historien a repris l’investigation et la plume «à l’aide des archives presque toutes ouvertes». Si la structure de l’ouvrage de 1983 n’a pas fait l’objet de modifications de premier ordre, c’est en raison de la validité et de la pertinence intactes de ses «grandes articulations» et de ses «principales conclusions». En fait, la question de la publication d’un nouveau livre sur le putsch d’Alger est revenue à l’ordre du jour du fait d’un «apport documentaire (…) tel que la différence entre les deux textes équivaut un peu à ce que serait la comparaison entre un film muet en noir et blanc et un film parlant et en couleur». Une kyrielle de livres portant sur cette période de la Ve République et sur la guerre d’Algérie ont été écrits entre-temps. Parmi ceux-ci se trouvent des témoignages remarquables de précision, dont l’historien a pu exploiter la substance. «Et surtout, il y a les archives». A cet égard, M. Vaïsse a pu se pencher sur un nombre considérable de documents provenant souvent des acteurs eux-mêmes de la guerre d’Algérie et plus spécialement de la crise de 1961.

Au fil des pages, l’auteur se penche donc sur le déroulement du putsch en lui-même, préparé par les cadres de l’armée. Il examine ensuite, avec force détails, les raisons profondes qui ont mené à ce que le Général de Gaulle qualifia de «pronunciamiento». Parmi celles-ci, l’auteur mentionne naturellement le traumatisme de la défaite fulgurante face aux forces nazies ainsi que le fiasco de Diên Biên Phu et la perte de l’Indochine, à l’occasion de laquelle on parla d’«armée oubliée». Bref, la décolonisation et son cortège d’«humiliations» tourmentèrent durablement l’armée française. M. Vaïsse fait également grand cas de sa politisation sans cesse grandissante, dont l’acmé sera la crise de 1961. En effet, la rupture des militaires avec le pouvoir politique fut certes progressive, mais bien réelle : les malentendus se multipliant, la tension culminera lors du putsch. Par la suite, l’universitaire se penche sur les raisons de l’échec du putsch ainsi que sur ses conséquences.

Très éclairant, cet ouvrage ne concerne pas à proprement parler l’histoire de la guerre d’Algérie. Son apport réside plutôt dans le récit et la réflexion qu’il propose s’agissant des origines et de la révolte d’avril 1961. Car «l’évènement en lui-même est bref : quatre jours, cinq nuit à peine. En revanche, comme le note très justement l’historien, le temps court du putsch renvoie à un temps long de l’armée française. De sa crise, qui remonte à 1940, le putsch est le révélateur». Initialement surpris, de Gaulle parvint néanmoins à mater définitivement l’armée. L’échec de ce coup de force contribua à légitimer plus avant la Ve République et à accentuer la marche forcée du régime vers une présidentialisation plus poussée.

Jean-Paul Fourmont
( Mis en ligne le 03/05/2011 )
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