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Contrôle - Comment s'inventa l'art de la manipulation sonore
de Juliette Volcler
La Découverte - Culture sonore 2017 /  14 €- 91.7  ffr. / 160 pages
ISBN : 978-2-7071-9013-0
FORMAT : 14,0 cm × 20,4 cm

Contrôle

Si l’on parle souvent de manipulation visuelle, on oublie tout aussi souvent la manipulation sonore. Le problème est que le son est sans cadre contrairement à l’image. Il est fluctuant, mobile et peut être acousmatique (on ne peut distinguer sa source), ce pour quoi il exerce une fascination particulière. L’acousmatique vient du nom donné à une secte pythagoricienne dont les adeptes écoutaient leur maître parler derrière une tenture. Certes, la vision est plus développée que l’ouïe, mais cette dernière n’est pas à mésestimer. Juliette Volcler tente de réparer ce déficit en remettant au goût du jour Harold Burris-Meyer (1902-1984) qui aurait eu une influence majeure dans ce domaine.

Un homme fort étrange : il a reçu des aides financières de la Fondation Rockefeller pour ses recherches, façonné la Muzak Corporation dont il fut le vice-président, et travaillé pour la CIA à la fin des années 40. Il a écrit avec Edward Cole deux livres pour metteurs en scène, Scenery for the Theatre (1938) et Theatres and Auditoriums (1949) ; et un troisième, Sound and the Theatre (1959).

L’essai étudie trois domaines en particulier : le théâtre, l’industrie, et la guerre... où Harold Burris-Meyer exerça son influence. Pour le premier, il s’agit de faire entendre au théâtre en 1941 des effets sonores mis au point à l’Institut de technologie Stevens d’Hoboken. Cela commença en 1930 par une pièce de George Baker, Control. Pour son cinquantième anniversaire, l’American Society of Mechanical Engineers fit appel à l’Institut Stevens pour célébrer cet événement sous forme d’une représentation théâtrale. À l’université Harvard, un certain Stanley Smith Stevens fonda le premier laboratoire de «psychoacoustique» en 1936 et élabora une échelle comparative entre le volume d’un stimulus acoustique et son intensité psychologiquement perçue.

L’innovation des haut-parleurs (et du cinéma sonore) permit une révolution sur le plan acoustique. Il s’agit bien de créer du spectacle, de jouer dans le registre de l’illusion sonore. Ce fut aussi les recherches d’un Walt Disney dans ce domaine avec son film Fantasia (1940) et son fameux procédé Fantasound. Harold Burris-Meyer, lui, innova dans le son localisé, par exemple les «spectacles sonores» (''Sound Show''). Mais aussi dans les ''Living Newpapers'' qui mettaient en scène l’actualité et l’histoire de façon vivante (projections de films, concerts, mimes, danses, effets sonores). Ces ''Living Newpapers'' naquirent du Federal Theatre Project, le programme du New Deal, pour remettre au travail les artistes et techniciens du monde du spectacle durant la Grande Dépression.

Le second domaine étudié est l’industrie. Notamment avec la Muzak Corporation du publicitaire William Benton (nom qui resta pour désigner la musique insipide). On comprend tout ce que l’on peut tirer du son en matière de jingle, de musique pour faire travailler plus activement les employés, d’ambiances acoustiques pour les grands magasins, histoire d’influencer les consommateurs dans leur choix à cette époque. «La «Music by Musak» était en train de trouver son procédé alchimique, savant dosage de musique, de taylorisme, de comportamentalisme et de marketing» (p.53), écrit Juliette Volcler. Harold Burris-Meyer publiera d’ailleurs un article intitulé «Music in industry» dans le magazine Mechanical Enginering en 1943.

Enfin, l’innovation la plus stupéfiante, est peut-être dans l’armée. Notamment dans le domaine de la psychoacoustique : nommé par Harold Burris-Meyer «effets JB» (Beach Jumpers), il s’agit d’impressionner les ennemis par des sons allant des infrasons aux ultrasons. Avec par exemple, le Projet Polly : des messages sonores étaient diffusés contre des ennemis pour les terroriser, les agacer, les dissuader, etc. Un brigadier-général britannique convainquit ses supérieurs de mettre au point la Force A, un département de l’armée dédié aux feintes. Ce fut l’invention d’une armée fantôme (''Ghost Army''). La sous-commission de la NDRC (Commission Nationale de Recherche sur la défense) sur les sources sonores en 1941 offrit à Harold Burris-Meyer 50000 dollars pour financer son travail autour du Système de contrôle du son de l’Institut Stevens. Le département théâtral de cet Institut mit au point le «Projet 17 :3-1» ou «Les effets physiologiques et psychologiques du son sur l’homme en temps de guerre».

Ces armées fantômes étaient destinées à créer une diversion. On faisait croire en un point A à la présence massive d’un attroupement avec chars et canons gonflables, mannequins, fausses transmissions radio, quelques soldats tout de même et surtout des sons amplifiés par une batterie de haut-parleurs pour créer illusoirement une fausse armée en manœuvre alors que tout se passait en un point B. Une sorte de trompe-oreille. Une des premières interventions de cette armée sonore eut lieu fin 1944 au cours de l’opération Brest. Puis d’autres encore comme l’opération Bettembourg, l’opération Viersen sur le sol allemand...

Voici un ouvrage donc réjouissant dans le domaine peu étudié qu’est le son (la psychoacoustique). On aurait cependant aimé des exemples plus précis ou plus développés. Juliette Volcler parle peu des implications d'Harold Burris-Meyer, notamment son engagement à la CIA et ce qu’il y fit. Les documents ne sont pas encore déclassifiés…

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 28/04/2017 )
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