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Histoire & Sciences socialeset Temps Présent  

Histoire de la guerre d'indépendance algérienne
de Sylvie Thénault
Flammarion 2005 /  21 €- 137.55  ffr. / 300 pages
ISBN : 2-08-210344-7
FORMAT : 14x22 cm

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris.

Ne dites pas : encore un manuel sur la guerre d’Algérie ! Mais dites : enfin un manuel sur la guerre d’indépendance algérienne !

Il a fallu une loi de 1999 pour que la France reconnaisse qu’il n’y a pas eu des «événements d’Algérie» mais une véritable Guerre ; il faut désormais lui rendre son véritable nom, sortir d’une vision franco centrée et la reconnaître comme la guerre d’indépendance algérienne.

Au début du XXIe siècle, le temps des historiens entre en résonance avec les embrasements du débat public. Des deux côtés de la Méditerranée, le contexte politique, mémoriel, social est favorable à la levée sinon d’un tabou, du moins d’une amnésie. Depuis quelques années, de jeunes chercheurs comme des historiens plus chevronnés ont renouvelé l’histoire de la guerre d’Algérie. Tout en veillant à ne pas confondre Clio avec Pallas, ils ont abordé des champs nouveaux, utilisé des archives inédites, attaqué de front quelques sujets qui fâchent ou divisent. On pense aux travaux de Sylvie Thénault sur la Justice, de Raphaëlle Branche sur la torture, de Claire Mauss-Copeaux sur les appelés, de Gilbert Meynier sur le FLN, de François-Xavier Hautreux sur les harkis, et, toujours, de Benjamin Stora et de Mohammed Harbi. Le manuel de Sylvie Thénault est la première synthèse de cette historiographie récente, qui se dit «dépassionnée» - disons plutôt impartiale, car la passion pour l’histoire est, elle, bien présente – mais à coup sûr passionnante.

L’ouvrage, de plan classique, chronologique, reprend les principaux événements de la guerre, de la Toussaint rouge de 1954 (tout en montrant bien que l’opposition à la colonisation doit se lire dans la longue durée, en dehors des moments de révolte) aux lendemains des Accords d’Evian. Pour cela, ce livre est un bon manuel, utile à tout lecteur qui ne connaîtrait rien de cette guerre. Sylvie Thénault la raconte comme un moment de l’histoire de France, bien sûr, mais aussi, indissolublement, de l’histoire de l’Algérie. C’est une double «histoire intérieure» que nous livre cet ouvrage, celle de la France en guerre, de son armée, de ses pouvoirs publics, de ses Français d’Algérie, celle de l’Algérie, du FLN, du GPRA, des Algériens. Et loin d’opposer deux blocs monolithiques, l’auteur présente, mais surtout explique, les tensions entre militaires et politiques (dans les deux camps), les fractures du camp nationaliste, entre dirigeants de l’intérieur et de l’extérieur, entre idéologies, entre clans, les déchirures de la communauté algérienne, les divisions de l’opinion française. Ces tensions internes aux deux camps sont fondamentales pour comprendre le déroulement et le dénouement de ces huit années de guerre.

Sylvie Thénault décrypte également les mécanismes de la violence. Ceux de la violence «légale», conduite par l’armée française qui interne, torture et met à mort. Ceux de la violence entre FLN et MNA, mais également à l’intérieur du FLN. Ceux de la violence de la sortie de guerre. L’ouvrage aborde tous les aspects d’une histoire délicate et d’une mémoire difficile : la torture, le massacre dit de Melouza, le 17 octobre 1961, les harkis, l’OAS. Il cherche à montrer que cette marche sanglante fut inéluctable : ni la domination militaire française, ni la présence ancienne de Français d’Algérie, ni les tentatives de réformes ne pouvaient l’enrayer. L’un des objectifs de Sylvie Thénault est d’étouffer définitivement l’interrogation sur la viabilité de l’Algérie française – Ah ! si l'on avait réformé… Ah ! si l’on n’avait pas trahi les militaires maîtres du terrain… - pour affirmer son impossibilité. Si l’identité algérienne ne fut pas d’emblée nationale, elle n’en était pas moins irréductible à l’identité française : les réformes envisagées, les tentatives d’assimilation ne pouvaient apporter aucune réponse. Elle enterre également l’idée d’une colonisation réussie qui se serait grippée, mythe pourtant vivace chez les Français d’Algérie : de 1830 à 1962, c’est l’histoire d’une conquête jamais acquise qu’elle défend.

Dans le contexte actuel de médiatisation, de retour du refoulé, de déferlement de questions, d’images, de gestes symboliques, d’accusations et de récits sur cette guerre d’indépendance, dans un contexte politique où l’on ose dicter aux professeurs le contenu de leur enseignement et où l’on voudrait revaloriser l’œuvre coloniale, l’ouvrage de Sylvie Thénault est plus qu’utile : il est salutaire.

Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 16/06/2005 )
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