L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Paris, La forme d’une ville - Précis d’anatomie urbaine du Moyen-âge à nos jours
de Michaël Darin
Parigramme 2016 /  22 €- 144.1  ffr. / 215 pages
ISBN : 978-2-84096-871-9
FORMAT : 17,3 cm × 21,1 cm

Gilles Targat (Photographe)

Comprendre la capitale

L’auteur, professeur honoraire d’histoire de l’architecture de la ville, a la double compétence d’architecte et d’historien. Il en avait déjà fait profiter les lecteurs fidèles à Parigramme en publiant en 2012 Patchworks parisiens. Aujourd’hui, il donne chez le même éditeur un ouvrage plus ambitieux dans son propos, comme son titre l’indique suffisamment.

Le titre est emprunté, comme on le sait et comme l’auteur le reconnaît lui-même en introduction (ou plutôt, selon ses termes, en «(pré)ambulations»), à Baudelaire et plus récemment à Julien Gracq. Mais plus intéressant peut-être est l’autre terme employé, celui d’anatomie, qui évoque l’étude des apparences mais aussi des structures cachées. Et c’est bien à cela que l’auteur va nous inviter : comprendre ce que nous avons aujourd’hui sous les yeux à Paris en retraçant les modifications successives qui ont affecté les rues et le bâti et en les expliquant par les règles urbanistiques de chaque époque, les contraintes physiques et le déplacement des activités et de la population à l’intérieur même du périmètre urbain. En d’autres termes et pour citer encore M. Darin, le promeneur, et donc le lecteur, est invité «à réfléchir non seulement à la nature de la création urbaine ou à son propre destin, mais également aux grandeurs et misères de toute action sociale complexe». Et c’est probablement là la thèse maîtresse de l’ouvrage, le paysage urbain actuel n’est pas seulement le résultat d’actions voulues et conscientes au fil du temps mais est aussi (autant ?) le fruit d’essais et d’erreurs qui en font toujours quelque chose d’inachevé, d’imparfait, malgré d’éclatantes réussites.

Dans cette démonstration, le parti adopté est de procéder en un premier temps de manière chronologique pour rendre compte de ce que l’auteur nomme «quatre siècles de mises à jour incessantes» qui amènent à aujourd’hui. Le point de départ est choisi en 1600 au motif que la ville est alors encore pour l’essentiel médiévale, puis les divisions suivent les siècles, 1600-1800, 1800-1900 et enfin, après 1900. Chaque étape est caractérisée par ses traits saillants et les facteurs essentiels ayant contribué à modeler le paysage urbain. On en donnera un bref échantillon plus bas.

Dans une seconde partie est étudié ce que l’auteur dénomme quelque peu mystérieusement «un puzzle à quatre dimensions», soit, si l’on comprend bien, une ville, qui est un objet à trois dimensions plongé dans le temps, ce que l’on sait être une quatrième dimension depuis Einstein … Pour ce faire, l’auteur choisit de «décomposer le réseau viaire de Paris en ses éléments structurels» en cinq étapes, «foyer», «voies de formation», «boulevards circulaires», «aires intercalaires» et «percées et entailles». À quoi s’ajoute un chapitre final sur «le site» où est récapitulé ce qui reste du canevas originel de la ville et donc des facteurs géographiques qui l’ont modelée. À la fin, nous est proposé non une conclusion mais un «épilogue» traitant de la place du Trocadéro qui, nous dit l’auteur, «résume à elle seule la comédie urbaine qui débouche, selon les aléas du temps et de l’espace, sur le sublime ou le banal, l’exception ou le commun… que les caprices du destin et des humains agrémentent parfois d’un clin d’œil facétieux». Choix original mais après tout justifié de façon convaincante et bien représentatif de l’originalité foncière de l’ouvrage et de la démarche de l’auteur !

Ce bref résumé ne saurait en effet rendre la richesse de l’ensemble et de ses détails, tant sur la forme que sur le fond. On se plaira à souligner en premier lieu la qualité de l’illustration ou plus exactement du lien existant entre elle et le texte, chaque image venant illustrer le propos ou chaque développement étant soutenu par un enrichissement graphique. Qualité et abondance, puisque les 201 pages de textes ne comportent pas moins de 274 clichés, qu’il s’agisse de photographies réalisées ad hoc, de cartes originales ou de reproductions de plans d’architecture et d’urbanisme ! Précisons que leur format nécessairement réduit n’en altère pas la lisibilité. Et comment ne pas évoquer le riche appareil qui accompagne le texte : deux index, l’un thématique, l’autre topographique, un appareil de 225 notes et une abondante bibliographie, essentiellement récente ? A ce propos, on notera que l’auteur est victime d’une coquille dans le titre de l’un de ses ouvrages (La comédie urbaine, voire la ville autrement) et, qui plus est, que la lettre «e» ainsi malencontreusement ajoutée en change sensiblement le sens : voire mis pour voir… Péché véniel qui ne remet nullement en cause la grande qualité formelle de l’ensemble !

Quant au texte, la table des matières assez succincte ne rend pas totalement justice à l’intérêt de son contenu, comme le montrent les quelques exemples suivants. Ainsi, dans le chapitre consacré au XIXe siècle, le développement intitulé «Nouveaux canevas» étudie-t-il successivement l’apparition des canaux et chemins de fer, la construction de l’enceinte de Thiers comme étant «à contre courant», la couronne annexée en 1860, la coupure Paris/Banlieue, à la fois spatiale et fonctionnelle, et enfin ce que l’auteur désigne de manière imagée par «l’encaissement» de la Seine, dont les berges, traditionnel lieu de travail, sont devenues paysage. On pourra souligner sur ce dernier point que le fleuve, au fil du livre, fait l’objet de propos originaux et stimulants sur son rapport à la ville. De même, plus loin, les oppositions entre l’uniformité haussmannienne et la recherche du singulier chez les urbanistes actuels sont-elles bien vues et bien traitées. Bornons-nous en là, à regret, car on pourrait multiplier les exemples. La seule réserve, s’il en faut une, sera sur la place très réduite accordée à l’automobile qui a pourtant puissamment contribué à façonner l’espace urbain et fait l’objet de débats aussi divers qu’acharnés actuellement et probablement demain encore. Ce qui ne se résume pas à la seule question des voies piétonnes !

En conclusion, on ne saurait trop recommander l’ouvrage de Michaël Darin à tout «honnête homme» qui veut connaître et comprendre Paris, et même à celui qui croit déjà connaître et comprendre la capitale, tant il apporte d’informations et de vues novatrices sous une forme accessible au grand public tout en étant de grande qualité éditoriale. Pour le dire sous une autre forme, un livre qui s’inscrit dans la lignée des grandes productions de Parigramme et figurera sans nul doute parmi les meilleures.

Jean-Etienne Caire
( Mis en ligne le 30/05/2016 )
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