L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Rendez à César – L'Église et le pouvoir - IVe -XVIIIe siècle
de Françoise Hildesheimer
Flammarion - Au fil de l'histoire 2017 /  24 €- 157.2  ffr. / 396 pages
ISBN : 978-2-08-139515-2
FORMAT : 15,5 cm × 24,1 cm

Françoise Hildesheimer collabore à Parutions.com

Une impossible logique

Quand le seul qui compte est le Royaume de Dieu, est-il légitime de payer l’impôt à la puissance publique ? Oui, répond Jésus dans un dialogue rapporté par les évangiles synoptiques. L’argent n’est pas illégitime, mais il ne relève pas du domaine divin. Simplicité empreinte de logique que cette réponse. À ceci près que l’Église a tôt dû prendre en compte l’argent et la puissance publique, de sorte que l’application de la dichotomie exigée par ce principe d’existences simultanées et distinctes est empreinte, au cours de l’Histoire, d’autant de contrastes que de situations. Que refusent de voir la plupart des historiens du fait religieux. Avec une «angélique timidité» (p.15), ceux-ci sont portés à évacuer les tensions qu’ont fait naître les questions de finances entre l’Église devenue détentrice d’argent et les États.

La vaste enquête chronologique proposée ici par F. Hildesheimer − à laquelle l’Académie française vient d’attribuer le prix Eugène Colas 2018 − est une réponse à cette faiblesse de la recherche. Elle a choisi d’analyser les avatars des tensions suscitées par la complexité des rapports entre l’Église et l’argent, du 4ème au 18ème siècle, essentiellement dans la France d’Ancien Régime, sans omettre cependant la «lutte de géants du sacerdoce et de l’empire» (p.337). L’auteure a aussi cherché les sources des tensions qui scandent l’histoire des rapports entre l’Église et le pouvoir. Elles sont présentes aux premiers siècles de l’Histoire, dès que le christianisme s’oppose au culte impérial. Vaine et brève apparence de séparation des pouvoirs puisque très tôt ‑ phénomène décisif ‑ la christianisation de l’État rend impossible toute démarcation. Les deux puissances sont alors structurellement associées, fussent par les difficultés du vivre ensemble et de l’emporter en autorité l’une sur l’autre.

À travers les tableaux que propose cet ouvrage, la question de la richesse matérielle de l’Eglise est au cœur de l’analyse. Entre l’idéal évangélique de pauvreté et la tentation d’une opulence indéniable aux temps médiévaux et modernes, la contradiction est constante. Le vaste travelling que propose ce livre se compose d’arrêts sur image qui dépassent le découpage classique en grandes périodes historiques, tant s’enchevêtrent les situations et les réponses. Exemple : pour un État, convient-il de s’appuyer sur, ou d’évincer, la puissance – temporelle ? spirituelle ? ‑ romaine ? Problème récurrent.

Une réponse originale aux tensions qui opposent les deux pouvoirs aurait-elle été trouvée par le gallicanisme français des 17ème-18ème siècles ? Il instaure une alliance objective entre l’Église et le souverain. Et donc, le roi étant reconnu chef de son Église nationale, la gestion des biens temporels de celle-ci se trouve au cœur du bon gouvernement. Mélange des genres, et évidente manifestation d’un esprit français d’émancipation. Faut-il y voir l’origine du développement d’un esprit laïc auquel est liée la séparation de l’Église et de l’État ? Conséquence, jusque dans ses soubresauts contemporains, du naufrage commun du trône et de l’autel dû à la Révolution française.

F. Hildesheimer pose de nombreuses questions, soulève des problèmes toujours d’actualité. Elle invite le lecteur à parcourir à sa suite une bibliographie abondante et diverse : pléthore paradoxale constituant la singularité inhérente à toute recherche pionnière et fondatrice.

Jacqueline Martin-Bagnaudez
( Mis en ligne le 25/07/2018 )
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