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La Roumanie - Un pays à la frontière de l'Europe de Lucian Boia Les Belles Lettres 2003 / 25 €- 163.75 ffr. / 415 pages ISBN : 2-251-44243-X L'auteur du compte rendu: Agrégé et docteur en histoire, Jean-Noël Grandhomme est l'auteur d'une thèse, "Le Général Berthelot et l'action de la France en Roumanie et en Russie méridionale, 1916-1918" (SHAT, 1999). Il est actuellement PRAG en histoire contemporaine à l'université "Marc Bloch" Strasbourg II. Un plaisant voyage chez les « Latins d’Orient » Combien de Français ignorent encore aujourd’hui que le roumain est une langue latine ? La grande majorité sans doute. Après le coup de projecteur de l’hiver 1989-1990, sa révolution, son procès bâclé des Ceausescu, ses faux charniers de Timisoara et ses vrais orphelinats pleins d’enfants victimes de la maladie et de la misère, le silence est retombé sur cette Roumanie que les écrans de télévision nous avaient alors révélée comme si francophone et francophile. L’ouvrage de Lucian Boia vient à point nommé pour rappeler son existence à notre bon souvenir et présenter au «grand public cultivé» cette «sœur romane» de l’autre extrémité du continent, qui frappe aujourd’hui à la porte de l’Union européenne. Spécialiste de l’imaginaire, l’auteur, professeur à l’université de Bucarest, ne nous livre pas là une histoire «classique» de son pays, mais nous propose une sorte de parcours à travers sa géographie, son histoire, ses traditions et ses mythes. Placée «au carrefour des civilisations», la Roumanie a subi les influences de tous les conquérants qui l’ont traversée ou occupée : Romains bien sûr, mais aussi Slaves, Hongrois, Turcs. De cette «synthèse complexe», comme l’écrit l’auteur, est sortie une langue, un territoire (avec ses quatre grandes composantes : Moldavie, Valachie, Transylvanie et Dobroudja) et finalement un Etat. Pendant des siècles, partie du bouclier de l’Occident face aux Ottomans (puis pendant quarante-cinq ans face aux Soviétiques), la nation roumaine ne s’est affirmée et émancipée qu’au milieu du XIXe siècle, avant d’entamer, sous l’égide de ses rois Hohenzollern, le long chemin qui devait la conduire «des Balkans à l’Occident». Mais la dictature stalinienne d’Ana Pauker et de Gheorghiu-Dej, puis le délire mégalomane et criminel de Ceausescu l’ont cantonnée à la sphère de «l’Europe en devenir», doux euphémisme qui désigne une stagnation ou même un recul. En ce début de IIIe millénaire, chemine-t-elle «pour un mieux ou pour un pire» ? se demande l’auteur. Bien malin qui pourrait répondre à cette question à l’heure du retour au pouvoir des «post-communistes», opposés au second tour des dernières élections présidentielles (novembre 2000) à un populiste épouvantail de l’Occident. Il est vrai cependant que la France – depuis les événements d’avril 2002 - a ravalé ses prétentions à faire la leçon au monde dans ce domaine. Après cette histoire qui se lit comme une épopée, souvent tragique, Lucian Boia consacre un bon tiers de son livre à des éclairages enrichissants sur des poncifs éculés lorsqu’il est question de la Roumanie : les Tziganes, la «persécution de la minorité hongroise», la «négation des droits des homosexuels», «l’antisémitisme des Roumains». Dans tous ces domaines, le point de vue de l’auteur se révèle parfois très peu politiquement correct. Il nous propose pour finir une passionnante incursion dans le «panthéon roumain», où nous croisons bien entendu aussitôt Dracula, mais aussi les boyards, la reine Marie, les écrivains Eminescu et Caragiale, Anna de Noailles, Marthe Bibesco et Elvire Popesco, Cioran, Eliade et Brancusi, sans oublier Nadia Comaneci. Le livre s’achève par une agréable promenade dans Bucarest, longtemps surnommée «le petit Paris». Latine mais orthodoxe, donc toujours un peu à part au sein de ses coreligionnaires grecs, russes ou bulgares comme de ses co-locuteurs français ou italiens, la Roumanie demeure un éternel entre-deux. Pourtant, jusqu’à présent, cette diversité culturelle ne lui a pas permis de surmonter ses nombreux handicaps structurels. A l’heure où beaucoup d’anciens «Pays de l’Est» ont tendance à s’aligner de manière presque caricaturale sur les positions des Etats-Unis (et, symptomatiquement, le livre de Lucian Boia a d’abord été publié en anglais avant d’être traduit en français), une meilleure connaissance de ces «cousins d’Orient» ne pourra qu’être un atout pour des Français qui ont encore une carte à jouer dans la région, mais que l’on n’attendra pas indéfiniment. Jean-Noël Grandhomme ( Mis en ligne le 03/12/2003 ) |
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