L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

L'Ombre du cheval - Histoire de la culture équestre, XVIe-XIXe siècles, vol. I.
de Daniel Roche
Fayard 2008 /  30 €- 196.5  ffr. / 479 pages
ISBN : 978-2-213-63631-3
FORMAT : 15,5cm x 23,5cm

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université de Marne-la-vallée et à l'IEP de Paris.

La Raison cavalière

"La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal", disait Buffon, gentilhomme philosophe des Lumières. Et l'historien des Lumières, homme de cheval à ses heures, qu'est Daniel Roche, semble partager pleinement cette idée, ainsi que la double fascination du naturaliste pour la bête et ce que l'homme a pu en faire. C'est en tout cas l'histoire qu'il nous offre dans ce premier tome de La Culture équestre de l'Occident, intitulé Le Cheval moteur.

C'est bien d'abord une histoire des chevaux que mène Daniel Roche, histoire de haras, de manèges, d'écuries. Une histoire des hommes qui les montent, les attellent, les soignent, les ferrent. Une histoire méticuleuse, érudite, concrète que le cavalier écrit aux côtés du chercheur tant on retrouve dans ces pages la connaissance intime de l'animal. Mais l'historien cavalier ne veut pas s'adresser qu'aux amateurs d'équitation. Plus qu'une histoire des chevaux et des hommes de chevaux, l'historien nous offre une histoire de la société, de l'économie et du pouvoir, une histoire des villes, des armées, des Cours, toutes éclairées par l'histoire de l'animal qui produisait alors l'énergie et conférait la force militaire, la distinction sociale. Il défend son objet comme observatoire des sociétés, caractère spécifique de civilisation. Pour l'historien moderniste, l'histoire du cheval, de ses usages, de ses représentations est aussi révélatrice que peut l'être l'histoire de l'automobile pour l'historien du temps présent.

Daniel Roche mène en effet son étude à l'ère de l'omniprésence du cheval, à celle de sa "centralité". Il suit, de la fin du Moyen âge à la veille du 20e siècle, les courbes montantes de l'accroissement des cavaleries, les traces de l'augmentation des besoins, de la diversification des usages - et partant de la spécialisation des races car les haras travaillent à l'amélioration des traits (chevaux de labour qui s'épaississent, gagnent en force ; chevaux de courses plus près du sang, plus rapides). Il fait l'histoire de la proximité croissante, jusqu'à la banalisation, de l'homme et du cheval. Huit chevaux pour 100 habitants calcule ainsi l'historien pour la fin du 19e siècle. Il nous plonge dans ces temps où l'équidé, producteur d'énergie, tout juste concurrencé par le bovin, était le fondement de l'économie, le moteur des mobilités et des flux. Temps des sociétés où, sans concurrence cette fois, l'étalon était au cœur de stratégies d'affirmation de puissance sociale, politique et militaire. Le livre est ainsi truffé d'informations qui servent à mieux estimer et à bien se représenter la place centrale du cheval jusqu'à la fin du 19e siècle.

L'historien de l'Ancien régime s'aventure en effet bien heureusement dans ce grand siècle des chevaux qu'est le 19e. Car même à l'heure du "cheval de fer" qui seul a pu créer un marché national, les transports hippomobiles restent incontournables pour le quotidien, cependant que l'histoire de l'urbanisation et de l'industrialisation s'est faite avec les chevaux, grâce aux chevaux pourrait-on dire. Aussi D. Roche n'abandonne-t-il son sujet qu'à la veille de la Première Guerre mondiale, à l'heure des premiers déclins face à la concurrence de la voiture (ou du char d'assaut). Un déclin dont au demeurant il montre bien combien l'on a pu peser le pour et le contre, mettant en balance la rentabilité de la bête contre celle de la machine, avant que, se rendant à l'évidence, on ne relègue le cheval dans l'économie des courses ou du loisir (quoiqu'à l'heure du pétrole cher il ne faille présager de rien!).

Daniel Roche veut faire l'histoire de tous les chevaux ; chevaux de prince, chevaux de colonel, chevaux de selle ou de labour, coursiers et canassons, plus quelques ânes, mules et baudets… Tous ces chevaux qui mangent la même avoine, boivent à la même eau, et génèrent donc des flux communs ; chevaux qui se croisent sur les mêmes routes, dans les mêmes villes et les mêmes villages, qui mobilisent les mêmes métiers, du maréchal-ferrant au vétérinaire. Mais des chevaux dont la possession et les usages multiples donnent à lire l'infinie variété des comportements sociaux, professionnels. Toute l'ambition du projet est là : "saisir tout à la fois la diversité et la coalescence". Sonder dans un même mouvement l'art équestre, la tradition militaire, les conduites d'élevage et tout ce que cela peut générer comme économie, comme pratiques, comme discours, tout en postulant que, de cet éclatement des usages, de cette multiplicité des races, de cette multitude des "hommes de cheval" – soit tout ce dont l'historien dresse un foisonnant tableau dans ce premier tome - doit se dégager ce que Daniel Roche nomme parfois la «raison cavalière», plus souvent, la «Culture équestre», que les opus suivants devront mettre à jour.

Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 02/09/2008 )
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