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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Mazarin l'Italien
de Olivier Poncet
Tallandier 2018 /  21 €- 137.55  ffr. / 286 pages
ISBN : 979-10-210-3105-0
FORMAT : 14,5 cm × 21,5 cm

Un italien à la cour de France

Jules Mazarin, ou Giulio Mazzarino (1602-1661), ministre cardinal sous la régence d’Anne d’Autriche depuis 1642 jusqu’à sa mort en 1661, et successeur du cardinal de Richelieu, est une figure clé dans la construction de l’Etat moderne absolutiste. Pour autant, son action politique fut sujette à controverses. Il devra faire face au mécontentement nobiliaire des Frondes sous son ministériat, et sa richesse acquise pendant ses années au gouvernement de la France fait peser sur le ministre des soupçons de corruption.

Olivier Poncet réexamine son bilan politique à l’aune d’une problématique originale : le rapport entre Mazarin et l’Italie. Il réussit ainsi un pari double. D’une part, celui de faire la synthèse des connaissances et des débats historiographiques autour de Mazarin, en mettant à la disposition du lecteur un riche appareil critique qui donne accès à la «cuisine de l’historien» : une bibliographie raisonnée, une chronologie, un répertoire de notices biographiques, et un dossier iconographique. D’autre part, en éclairant la politique italienne de Mazarin, il envisage une histoire de France qui se joue hors du pré carré et soulève la question de l’influence italienne sur la France du dix-septième siècle.

L’espace culturel et géographique italien est, selon les mots du cardinal, «le plus beau théâtre du monde» : une scène d’affrontements, de rencontres et d’échanges. Le prisme italien permet alors de disloquer un imaginaire national pour parler d’une époque où les sujets sont cosmopolites, où les identités culturelles sont mobiles, où les frontières territoriales sont poreuses et instables – en ce sens, l’ouvrage d’Olivier Poncet résonne avec notre époque et nous interpelle. L’étude inaugure la série «Méditerranée» de Tallandier, et évoque l’esprit de Fernand Braudel qui, en envisageant l’espace méditerranéen comme acteur majeur de l’histoire du seizième siècle, nous invitait «à sortir de nos habitudes».

Mazarin est romain : éduqué au Collège des jésuites, il fait ses premiers pas en politique en tant que capitaine, puis en tant que diplomate au service du pape. Cette période de gestation spirituelle, culturelle et politique marquera durablement sa carrière française, comme en témoignent la protection qu’il offrira aux ordres religieux venus d’outremonts comme les théatins, son mécénat et sa collection d’art privée, eux aussi dominés par des artistes italiens. Le développement de la navigation et des ports méditerranéens sous son ministériat sont dignes d’un imaginaire politique italien tourné vers la Méditerranée. La double appartenance culturelle permet également de saisir les tensions entre sphère privée et sphère publique. Mazarin s’exprime en français à la cour, mais il mène sa correspondance et vraisemblablement d’autres aspects intimes de sa vie – la confession – en italien. Elle confère au personnage un relief psychologique.

Suite à sa première carrière romaine, qui se solde par une mise en demeure tacite à Avignon, Mazarin aurait-il cherché, dans sa carrière française, à prendre une revanche par son investissement de la scène italienne au nom de la monarchie française ? Ce sentiment expliquerait d’une part la loyauté indéfectible du cardinal vis à vis des intérêts diplomatiques français mais d’autre part, il sous-tend «la passion, l’aveuglement, l’impuissance (…) de ce Romain qui fit la loi partout en Europe mais fut incapable de mener sa barque au milieu de la Curie». Replacé dans cet environnement italien, on découvre un Mazarin agi autant qu’acteur.

En dépit du fait que, «de manière générale, on serait bien en peine de trouver des Italiens qui ont eu une influence et un rôle administratif déterminants sous le ministériat de Mazarin» (que l’on pense, parmi les plus connus, à Fouquet ou à Colbert), Mazarin fut la cible d’un anti-italianisme féroce. Le thème est commun et traverse diverses sources. Il prend une place considérable dans la déferlante de mazarinades, ces textes satiriques et polémiques publiés par les presses frondeuses. Sa figure cristallise une altérité culturelle qui sert de repoussoir et de ressort rhétorique pour galvaniser l’opinion populaire contre le pouvoir absolutiste.

Mais Poncet souligne la distance entre ces stéréotypes xénophobes, qui cristallisent un sentiment national en germe, et les réalités juridiques de l’époque. La notion d’identité nationale au dix-septième siècle «demeure encore quelque chose de flou». Non seulement «les frontières n’étaient pas alors ces barrières infranchissables décrites précisément sur les cartes», mais la circulation des personnes était relativement libre puisqu’on «n’exigeait aucune pièce écrite qui déclinât le lieu de naissance, la résidence, et l’appartenance à une collectivité politique». Certes, le bassin méditerranéen et les principautés italiennes apparaissent comme des scènes où se jouent les rivalités entre les monarchies, mais la politique, dans l’Europe du dix-septième siècle, est moins celle des peuples que celle des Grands : aussi les rivalités révélées sur la scène italienne se règlent-elles par des alliances matrimoniales qui perpétuent un certain cosmopolitisme au sein des grandes familles régnantes.

C’est d’ailleurs sur ce terrain diplomatique que Mazarin exercera le plus brillamment son influence : la négociation du mariage entre l’infante d’Espagne et le jeune Louis XIV, en mettant fin à des décennies de rivalité militaire et diplomatique entre la France et l’Espagne, constitue une de ses plus grandes victoires.

Sarah Beytelmann
( Mis en ligne le 23/04/2018 )
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