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Histoire & Sciences socialeset Biographie  

Fontenelle et l'invention de l'histoire des sciences à l'aube des Lumières
de Simone Mazauric
Fayard - Histoire de la pensée 2007 /  24 €- 157.2  ffr. / 390 pages
ISBN : 978-2-213-63306-0
FORMAT : 15,5cm x 23,5cm

L'auteur du compte rendu : Professeur d'Histoire dans le secondaire et chargé de TD à l'Université Paris/Est - Marne-la-Vallée, Fabrice Charton poursuit une thèse sur "l'Académie royale des inscriptions et belles-
lettres sous l'Ancien Régime", sous la direction de Ch. Jouhaud à l'EHESS.


Le berger normand

Probablement le centenaire le plus célèbre de l’Ancien Régime, Bernard le Bovier de Fontenelle, neveu des Corneille, a comme reculé l’heure de sa propre mort en domptant la faucheuse par la rédaction des éloges de ses confrères de l’Académie royale des sciences. «Il possédait souverainement les qualitez d’académiciens, c’est à dire d’un homme d’esprit qui doit vivre avec ses pareils profiter de leur lumières, et leur communiquer les siennes» : ainsi peint-il les talents de l’un d’eux, Denis Dodart, s’assimilant en partie à ce portrait idéalisé du bon académicien. Déjà célèbre au XVIIIe siècle, les éloges de Fontenelle participent encore aujourd’hui à la renommée de celui qui dès 1699 occupe la place de secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences, fonction qui le contraint à la rédaction des dits éloges.

Acteur central du renouvellement académique des années 1690, Fontenelle est un proche des Pontchartrain. Elu à l’Académie française en 1691 grâce au soutien de Louis de Pontchartrain puis en 1697 à celle des sciences grâce à l’appui de Jérôme de Pontchartrain, il est proche de leur neveu et cousin, le célèbre réformateur des Académies royales et du Journal des Savants, l’abbé Jean-Paul Bignon, futur directeur de la Bibliothèque du roi. Durant près d’un demi-siècle, de 1699 à 1740, Fontenelle ne va avoir de cesse de valoriser l’institution royale dont il est le secrétaire perpétuel. Il s’applique à un grand œuvre de monumentalisation de l’Académie royale des sciences par le biais de la rédaction d’une Histoire qui reprend les principaux travaux des académiciens et qui compile les éloges funèbres de ces derniers. Fontenelle promeut ainsi l’Académie, son mécène le roi de France (Louis XIV puis Louis XV) et les sciences. La simultanéité entre la nomination de Fontenelle au poste de secrétaire perpétuel et l’obtention d’un règlement en 1699 qui institutionnalise l’Académie et la récompense pour la relance de ces activités, témoigne s’il en faut de son implication dans le système académique. Cet aspect n’a pas échappé à Simone Mazauric.

La philosophe et historienne des sciences revient abondamment sur les activités académiques de Fontenelle. Elle édifie l’Histoire de l’Académie royale des sciences comme source historique à part entière. Plus qu’un recueil de renseignements sur telle ou telle personnalité académique, elle préfère utiliser l’Histoire comme témoignage de l’action de Fontenelle au sein de la République des Lettres. Mme Mazauric a le souci constant de montrer comment Fontenelle est à la fois serviteur des sciences et de la monarchie, même si elle préfère voir dans le «berger normand» un acteur à la charnière du libertinage et des Lumières plutôt qu’un homme coincé entre le Grand siècle et celui des Lumières. Ainsi, si l’histoire institutionnelle construite par Fontenelle a «pour fonction essentielle de rappeler, de célébrer, de louer, de magnifier un acte monarchique, un acte qui, quand bien même la communauté savante l’appelait de ses vœux, n’en a pas moins été un acte d’appropriation, de «capture» des pratiques savantes, désormais dirigées, commandées, par le roi et par ses agents», comme elle le rappelle, Simone Mazauric voit en Fontenelle plus qu’un serviteur de la monarchie, un homme qui a accepté sa fonction de secrétaire perpétuel pour participer à l’édification du savoir scientifique auquel il attribue un caractère libérateur pour les Hommes. Bref, Fontenelle profite habilement de la légère marge de manœuvre que lui procure le service de la couronne au sein d’une institution scientifique, pour servir les sciences et le progrès.

Toujours dans une première et longue partie composée de cinq chapitres, Mme Mazauric revient sur les grandes phases de fondation de l’institution royale depuis 1666 jusqu’au renouvellement qui a lieu au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles. Elle en profite pour rappeler que se compose alors un corps de gens de sciences au sein de l’Académie, corps qui marque son originalité par rapport à des corps préexistants voire par rapport aux ordres privilégiés. Elle s’inscrit ainsi à la suite des travaux de Daniel Roche ou d’Alain Viala sur les académies et gens de lettres. Enfin, Simone Mazauric montre comment les éloges participent à la publicité de l’Académie et surtout à celle des sciences.

Avant de réserver une large seconde partie de son ouvrage à la construction de l’histoire des sciences par Fontenelle, comme l’annonce son titre, Simone Mazauric rappelle les tenants et aboutissants de la querelle des Anciens et des Modernes, en montrant la place qu’y occupe Fontenelle. A l’instar d’un Jean-Paul Bignon, pour qui Fontenelle «avoit une guerre à soutenir comme Patriarche d’une secte dont il n’étoit pas», celle des Modernes, elle relève le caractère bien tempéré de Fontenelle dans la querelle. Mme Mazauric montre comment par le biais des sciences libératrices, Fontenelle est une sorte de modèle du savant-citoyen qui se développe au XVIIIe siècle. L’académicien, en réfléchissant à l’élaboration d’une histoire des sciences, participe ainsi à l’émergence d’une science moderne, signe d’un «âge de la maturité» qui vient supplanter l’érudition des simples curieux, les reléguant au stade de la fable, celui d’«un âge de la puérilité». Cette «science qui ne fait là que naître» (Fontenelle), Simone Mazauric en relève des aspects fondamentaux, une nouvelle fois dans l’Histoire et les éloges de Fontenelle. Outre donc la monumentalisation de l’institution royale à laquelle participent ces textes, c’est bien à une naissance de l’histoire des sciences qu’ils contribuent. A l’image de leur auteur, ils servent la monarchie et les sciences.

L’ouvrage de Simone Mazauric revient donc sur l’une des figures les plus importantes du monde savant et académique des XVIIe et XVIIIe siècles. Elle présente un Fontenelle éclairé capable de se jouer en partie du système académique fondé et développé par la monarchie. Si de nombreux aspects ont déjà été développés dans des thèses sur l’Académie des sciences, que Mme Mazauric ne manque pas de citer (Alice Stroup, David Sturdy), sous sa plume, on voit s’établir avec beaucoup de finesse les rapports entre sciences et politique. Une lecture stimulante, qui a le mérite de faire le point sur l’une des activités académiques de Fontenelle, et d’utiliser de manière somme toute originale l’une des plus célèbres productions littéraires de l’auteur : les éloges. Ceux-ci contribuent à la fois au développement de l’institution académique et au premier développement de l’histoire des sciences.

Fabrice Charton
( Mis en ligne le 13/11/2007 )
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