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Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Le Capitalisme à l'agonie
de Paul Jorion
Fayard 2011 /  20 €- 131  ffr. / 348 pages
ISBN : 978-2-213-65488-1
FORMAT : 13,5cm x 21,5cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

Inventer un monde nouveau

Dans La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme (1992), Francis Fukuyama reprenait un thème récurrent dans la philosophie politique : la fin de l’histoire. A Iéna en 1806, témoin du triomphe militaire de Napoléon sur la Prusse qu’il venait de défaire, Hegel annonça la fin de l’histoire. La victoire napoléonienne était également celle des idéaux de liberté et d’égalité provenant des Révolutions américaine et française. Se faisant hégélien, Fukuyama écrivait : «il se peut bien que ce à quoi nous assistons, ce ne soit pas seulement la fin de la Guerre Froide (…), mais la fin de l’histoire en tant que telle : le point final de l’évolution idéologique de l’humanité et l’universalisation de la démocratie libérale comme forme finale du gouvernement humain». Adossé à ce que Kojève appelait «l’Etat universel et homogène», l’horizon indépassable de l’humanité résiderait dans la démocratie de marché.

Cet optimisme, Paul Jorion ne le partage pas. Pis, il le brocarde dans son dernier essai intitulé Le Capitalisme à l’agonie. Si en effet «à la chute du mur de Berlin, en 1989, le capitalisme triomphait [car,] privé d’ennemis, il cessait d’être un système économique parmi d’autres pour devenir la manière unique dont un système économique pouvait exister». Pourtant, les choses ne sont pas si simples. Comme l’indique P. Jorion, «en 2007, seulement dix-huit ans plus tard, autrement dit pratiquement au même moment à l’échelle de l’histoire humaine, il devait être aspiré lui aussi dans le maelström d’une destruction prochaine». Pourquoi une telle évolution ?

A cet égard, Paul Jorion se demande si le communisme puis le capitalisme n’ont pas été terrassés par le même mal. «La cause alors, avance l’auteur, serait la complexité : l’organisation des sociétés humaines atteindrait un seuil dans la complexité au-delà duquel l’instabilité prendrait le dessus, et, la fragilité étant devenue excessive, le système courrait à sa perte». Un autre élément d’explication résiderait dans «le besoin de l’existence d’un ennemi pour se soutenir». En outre, le capitalisme aboutirait inéluctablement à une «concentration de la richesse telle que le système ne pourrait manquer de se gripper tout entier un jour ou l’autre». La rencontre de ces facteurs mortifères aurait donc conduit le capitalisme à l’agonie.

Au fil des pages, Paul Jorion se penche sur «ceux qui savaient». La plupart des sociétés modernes seraient restées sourdes aux enseignements. Pèle-mêle, l’auteur mentionne notamment Karl Marx, Hegel, Freud ainsi que Keynes. P. Jorion écrit à cet égard qu’il est souhaitable d’actualiser le projet de Keynes afin d’intégrer la nouvelle donne. Il s’agit, en effet, de «maintenir – et, le cas échéant, restaurer – ce qui, du système, mérite d’être sauvé», comme les libertés individuelles par exemple. L’autre aspect de la tâche est de «faire en sorte que soit éliminée la source du dégoût qui (…) se répand dans la population à l’endroit du système, qui, chaque jour davantage, punit les bons pour récompenser les méchants».

Pour ce faire, deux buts doivent être atteints : d’une part, renoncer à «la pseudo-solution actuelle au manque de revenus qu’est la substitution du crédit aux salaires, source de fragilisation généralisée du système économique» ; d’autre part, «éliminer aussi la fonction parasitaire de la finance qui siphonne la richesse créée pour arrondir des fortunes déjà existantes». Ne se contentant pas d’accabler le capitalisme, Paul Jorion esquisse des pistes s’écartant des sentiers battus de la doxa, qu’il faudrait absolument explorer pour «inventer un monde nouveau». Car d’après lui, le monde ne traverse pas actuellement «l’une des crises habituelles du capitalisme, mais sa crise majeure, celle de son essoufflement final, et pour tout dire celle de sa chute».

Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 21/06/2011 )
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