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Histoire & Sciences socialeset Sociologie / Economie  

Freakonomics
de Steven-D. Levitt et Stephen J. Dubner
Denoël - Impacts 2006 /  19 €- 124.45  ffr. / 298 pages
ISBN : 2-207-25796-7
FORMAT : 14,0cm x 21,0cm

L'auteur du compte rendu: Guy Dreux est professeur certifié de Sciences Economiques et Sociales en région parisienne (92). Il est titulaire d'un DEA de sciences politiques sur le retour de l'URSS d'André Gide.

Les bonnes ficelles de l'économie

Les best-sellers en sciences humaines sont rares. Meilleure vente des ouvrages d'économie aux Etats-Unis en 2005 (pour une fois la traduction ne se sera pas faite attendre en France), Freakonomics est depuis quelques semaines en bonne place dans les bacs des librairies et fait l'objet de nombreux articles curieux. Fruit de la collaboration entre Steven Levitt, ayant reçu en 2003 la John Bates Clark Medal, qui récompense les meilleurs économistes de moins de 40 ans, et de Stephen Dubner, journaliste au New York Times, l'ouvrage entend être décapant.

Les sciences économiques se sont forgées une telle réputation de rigueur et d'austérité que l'on ne peut être qu'intrigué en effet par les questions abordées par ce livre. Pourquoi les dealers habitent-ils chez leurs parents ? Qu'est-ce qui est plus dangereux entre une piscine et une arme à feu ? Qu'y a-t-il de commun entre un instituteur et un lutteur de sumo ?

Cette "économie saugrenue" entend affirmer son originalité par l'intérêt qu'elle porte à la vie elle-même plutôt qu'aux cours des titres boursiers. Mais c'est oublier que cette démarche est depuis longtemps inscrite dans les programmes de recherches de nombreux économistes, comme Von Mises ou Gary Becker par exemple. Les auteurs abordent en fait une série de questions plus ou moins percutantes pour établir des relations originales, surprenantes parfois, entre des séries de faits. Leur méthode est d'ailleurs explicite : "Mais si on parvient à poser une question qui corresponde à une telle préoccupation [c'est-à-dire poser une question intéressante] et que l'on découvre une réponse qui risque de surprendre –c'est-à-dire si on parvient à contredire la sagesse populaire-, alors il se peut que l'on ait mis dans le mille." (p.121)

Taper dans le mille ; voilà donc l'objectif. Cela peut être ingénieux, voire marrant, mais à quels résultats aboutit-on ? A cumuler les chapitres et les questions saugrenues comme on enfile des perles, on perçoit peu à peu un monde d'une grande conformité avec les modèles standards. Les individus sont supposés mus par la recherche de leur satisfaction, par la maximisation de leur utilité, même s'ils ne parviennent pas toujours à connaître les meilleurs moyens pour y parvenir. Nous nous situons donc dans une approche où la rationalité est limitée et où les effets secondaires ou pervers sont toujours possibles. En somme un cadre d'analyse qui est loin d'être méconnu d'économistes plus "classiques". Les régressions linéaires utilisées conviennent certes à mettre en rapport des séries d'événements mais ne permettent pas véritablement de sortir des cadres théoriques les plus usités.

Une des affirmations fortes de l'ouvrage concerne la délinquance. En effet, les auteurs considèrent la légalisation de l'avortement en 1974 comme le principal facteur de la diminution de la délinquance observée aux Etats-Unis dans les années 1990. Considérant que ces avortements ont été plutôt décidés par des femmes connaissant des situations familiales fragiles, que ces mêmes situations de fragilité sont caractéristiques des familles de délinquants, Levitt et Dubner en concluent que les délinquants "manquants" des années 1990 ne sont tout simplement pas nés ! Une comparaison internationale à ce sujet permettrait d'alimenter quelques doutes sur cette "explication"…

Si l'on veut donc reconnaître un talent aux auteurs, on peut leur accorder une certaine capacité à faire du neuf avec de l'ancien…

Guy Dreux
( Mis en ligne le 27/04/2006 )
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