L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Historiographie  

Pour une histoire des politiques du patrimoine
de Philippe Poirrier , Loïc Vadelorge et collectif
La Documentation française - Travaux et documents 2003 /  22 €- 144.1  ffr. / 614 pages
ISBN : 2-11-094275-4
FORMAT : 16x24 cm

Philippe Poirrier collabore à Parutions.com.

L'auteur du compte rendu : Ancienne élève de l’École nationale des Chartes et de l’École nationale du Patrimoine, Agnès Callu a soutenu une thèse d’École publiée sous le titre : La Réunion des Musées nationaux, 1870-1940 : genèse et fonctionnement, (Champion-Droz, 1994, prix Louis Lenoir). Elle est conservateur du patrimoine au Centre historique des Archives nationales, maître de conférences à l’IEP de Paris et chargée de cours à l’Université Paris IV – Sorbonne et à l’École nationale des Chartes. Elle poursuit ses recherches sur les politiques culturelles françaises aux XIX-XXe siècles.


Deux siècles de gestion du patrimoine

Même amputé d’une partie importante - les musées, les bibliothèques, les archives -, ce livre est d’un foisonnement aussi dense que varié puisqu’il résulte de la collaboration d’une équipe fortement motivée dont la sobre identification, donnée en liminaire, dispense de toute énumération globale ou sélective. Adossés à des propositions théoriques sur la modernité du passé, l’héritage collectif et les démêlés de la protection et de la valorisation, se développent, pour l’essentiel, les épisodes d’une histoire de deux siècles : le branle résulte des retombées du vandalisme révolutionnaire ; dans le sillage des premiers antiquaires, intervient le “moment Guizot”, en fait celui de Vitet et de Mérimée ; puis la Troisième République, secouée par la Séparation de l’Église et de l’État, vote, en 1913, la loi instituant le classement mais dont les décrets d’application ne paraissent qu’en 1924-1926 ; l’accélération de l’interventionnisme, en particulier pour les fouilles métropolitaines, s’explique, en 1941-1942, par l’absence du contrôle parlementaire ; la reconstruction qui, déjà après la Grande Guerre, avait constitué une charge budgétaire prolongée pour des édifices symboliques s’étend, à la suite du Second Conflit, à l’urbanisme d’agglomérations entières ; enfin, la Cinquième République voit l’organisation d’un ministère spécifique, taillé aux dimensions d’André Malraux : nous vivons sur les traces des vives impulsions d’alors - songeons, entre autres mesures, aux secteurs sauvegardés -, remodelés toutefois sous l’emprise de la décentralisation, des associations et de la crise du tout culturel.

La question des monuments historiques, à cause de la visible interaction des architectes, des conservateurs, du clergé et des municipalités, domine les décennies et donc les pages de ce volume ; plus récente dans les préoccupations, l’archéologie et surtout, depuis 1962, l’inventaire, ont encore des problématiques contestées, comme le montre une ethnologie coincée entre le folklorisme et l’anthropologie. Cependant la composition de l’ensemble réussit l’alternance entre une histoire administrative généraliste qui s’astreint à aligner d’arides organigrammes assez connus, et les cas d’espèce plus parlants au lecteur. C’est ainsi que s’esquissent des biographies : aux côtés de préfets oubliés, l’immuable Paul Léon ou un Jérôme Carcopino, archéologue et ministre. Le meilleur, toutefois, se trouve dans les exposés monographiques : l’Anjou de 1800 à 1850, les vicissitudes du quartier Saint-Jean à Lyon, l’armée et les antiquités d’Algérie, la restauration de la cathédrale de Reims ; Rouen, Caen, Le Havre, les cités martyres de Normandie ; Le Corbusier et la survie de son œuvre ; la découverte des friches et des usines ; les écomusées de la rurale Bresse et du Creusot - Schneiderville ; l’hétérogénéité de Saint-Quentin-en-Yvelines.

Rarement polémique, malgré parfois un ton très personnel, cette somme intelligente, par son éventail diachronique, indicateur d’une continuité jusqu’à il y a peu, manifeste que l’âge d’or du patrimoine, accroché à des valeurs qui meurent, est désormais derrière nous. Il faudrait réinventer des références, si l’on veut éviter que ce qu’un grand historien a dénommé “la démocratisation de la culture” ne tourne à l’alliance détestable de la réglementation et du loisir indifférent.

Agnès Callu
( Mis en ligne le 15/03/2004 )
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