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Le Deuil de la mélancolie
de Michel Onfray
Robert Laffont 2018 /  13 €- 85.15  ffr. / 124 pages
ISBN : 978-2-221-21954-6
FORMAT : 13,6 cm × 21,5 cm

Journal d'un AVC

Michel Onfray (né en 1959) est ce philosophe prolifique et ultra médiatisé. Erudit, pertinent, contradictoire et polémique, il a le mérite (avec deux ou trois confrères) d'être parfois politiquement incorrect et d'élargir le champ de vision du libertaire de gauche postmoderne. Il défend les valeurs socialistes humanistes tout en s'opposant radicalement à la dérive libérale et sa décadence. Il fait partie des rares intellectuels français à défendre les humiliés et les opprimés sans la démagogie intellectuelle qui en général accompagne ce type de position. Il a publié en 2017 pas moins de huit ouvrages dont le fameux Décadence, qui retrace l'histoire de l'humanité judéo-chrétienne (pas moins !).

En débutant la lecture de ce témoignage, on se demande où l'auteur trouve le temps d'écrire ; il raconte ici son emploi du temps assez serré quand surgit son AVC. En descendant d'un train, le philosophe ressent comme une altération de sa vision avec une perte de repère géographique ; il continue pourtant sa course. En quatre jours, il a donné un cours à l'université, un dîner entre amis, visité un malade, enchaîné un déjeuner de travail, une intervention dans un spectacle, la participation à un débat, une interview pour une radio puis un passage à la télévision... Là, la journaliste lui conseille d'aller passer une IRM illico !

Auparavant, trois médecins l'avaient orienté chez un ophtalmologiste, le rassurant sur l'AVC (l'écrivain suivait pourtant un traitement anti-rechute puisqu'il en avait déjà fait un). Avant de voir le radiologue, Onfray passe chez le généraliste associé qui réfute l'AVC, l'envoyant aussi chez un confrère pour d'autres analyses qui n'ont rien à voir, et lui réclamant 250 euros par la même occasion (le prix à payer lorsque l'on fréquente le tout Paris culturel et mondain !). L'IRM révèle bien un AVC et il est hospitalisé une semaine à l'hôpital Foch à Paris. Là, il rédige son journal sur son Smartphone. C'est ce qui déçoit chez Onfray : brillant, il écrit certes des choses fortes mais il fréquente Ardisson (à qui le livre est dédié) et il écrit sur son téléphone portable au lieu de demander du papier !

La confession n'en est pas moins rude. La corporation médicale en prend pour son grade, notamment le médecin des stars qui, après avoir réfuté l'AVC, pratique la dénégation, le cynisme et la mauvaise foi pour réfuter à présent l'erreur médicale ! Les autres aussi, à qui il reproche le relatif silence lorsqu'ils ont été avertis. Les raccourcis ne manquent pas, la critique est un peu facile mais l'homme a failli y passer, ce qui explique son mécontentement. S'ensuit une réflexion sur le deuil et la mort qui accompagnent l'écrivain depuis des décennies. Celle de sa femme notamment, emportée par un cancer après quatorze années de lutte et un douloureuse chimiothérapie. Il se rend compte (peut-être un peu tard) que la maladie et la mort isolent d'un côté et attirent les charognards de l'autre. Les amis qu'on croyait loyaux disparaissent et ceux avides d'informations lugubres accourent. Au final, on est bien seul dans sa chambre d'hôpital lorsqu'il faut se battre contre la maladie.

Cela donne ce mélange de naïveté, de règlements de compte et de réflexions sur la mort. Le Deuil de la mélancolie est écrit pour un retour à la vie et se lira avec bienveillance. Personne ne souhaite endurer ce que le philosophe a vécu. La littérature sert aussi à ça, à partager ses idées et ses souffrances avec des lecteurs inconnus, peut-être les seuls vrais amis, et parmi eux, certainement de très bons médecins qui se comportent plus dignement que le fameux docteur Ignace S. du XVIIe arrondissement de Paris...

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 26/09/2018 )
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