L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

Peuple
de Déborah Cohen
Anamosa  - Le Mot est faible 2019 /  9 €- 58.95  ffr. / 80 pages
ISBN : 979-10-95772-59-0
FORMAT : 10,2 cm × 19,1 cm

Singulier pluriel

L'importance de l'invocation presque rituelle du peuple est centrale à la raison politique moderne puisque, depuis la révolution français à tout le moins, les systèmes étatiques ne se fondent plus sur des références à une surnature ou à la nature, mais à la volonté des hommes unis pour constituer des institutions et donc une société. Cependant, ce n'est pas la construction des discours justificatifs autour du peuple qui intéresse Déborah Cohen dans son livre Peuple, premier venu de cette petite collection ''Le mot est faible'', lancée par les éditions Anamosa ; c'est le mot peuple lui-même : qui l'utilise ? Qui le définit ? Comment le définit-on ? Et puis à quoi sert-il ?

On sent que le texte a été écrit dans l'urgence, face à cet évènement majeur qu'est le soulèvement des gilets jaunes. Et à vrai dire, il tombe à point nommé. Il est brillant, fluide, condensé, et riche en petits fils d’Ariane à suivre pour sortir d'un labyrinthe où – entre le tumulte des Apathie, Praud et images dégoutantes des Tontons Macoute de la Bac - il nous est impossible de remettre un peu d'ordre dans nos idées afin de devenir le judicieux Thésée.

Ainsi Cohen souligne que, dans notre système politique représentatif, le peuple a un statut spécifique : il est celui qui s'exprime (par des manifestations, le vote, les pétitions, etc.), mais qui ne prononce que des borborygmes, une sorte d'entité passive, bruyante, qu'une clique de gens méprise ou interprète institutionnellement. Et l'auteur d'envoyer une petite pique légitime à cette gauche dite «populiste» qui ne se trouve de peuple qu'avec un leader charismatique pour le faire exister, pour faire exister sa parole, alors que le peuple est d'abord, et peut-être seulement, ses actes, à un moment de confluence donné.

Cohen a une phase très juste à ce propos : «on ne détruit vraiment que ce qu'on remplace». Un aéroport par des champs d'agriculture biologique. Un gouvernement par ses assemblées populaires votant les lois à l'unanimité si possible, à la majorité si nécessaire. Être un peuple, c'est agir ensemble, pas seulement se reconnaître dans la détestation du pouvoir qui écrase. Ce faisant, Cohen rejoint d'une certaine manière La Boétie mais aussi Illich, Tolstoï et tant d'autres : il faut construire une réalité hors ou en marge du pouvoir pour pouvoir échapper à celui-ci, à sa logique, devenir les marrons de la désobéissance. Ce n'est sans doute pas suffisant, mais c'est nécessaire.

Un petit livre – et un bel objet, dont l'esthétique fait penser à celle du label Factory de Manchester – à se passer de poche de veston à sac à main comme les manifestes anarchistes du XIXe siècle.

Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 13/03/2019 )
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