L'actualité du livre
Essais & documentset Questions de société et d'actualité  

Le Choc des utopies - Porto Rico contre le capitalistes du désastre
de Naomi Klein
Lux 2019 /  12 €- 78.6  ffr. / 128 pages
ISBN : 978-2-89596-289-2
FORMAT : 12,7 cm × 18,4 cm

Jade Lindgaard (Préfacier)

Julien Besse (Traducteur)


Wind & Fire

Alors que dans son Libéralisme autoritaire Chamayou décrivait la stratégie de reconquête culturelle, des petits pas institutionnels et des entrechats dérégulatoires néo-libéraux, Naomi Klein montre comment les décisions politiques et économiques néo-libérales les plus destructrices, les plus brutales sont mises en place au moment des grandes catastrophes naturelles. Ce fut le cas en 2005 après le passage de l'ouragan Katrina sur la Nouvelle Orléans, et ce le fut aussi le cas sur la petite île de Porto Rico après celui de Maria, qui fit plus de 2000 morts durant l'été 2018, où le gouverneur décida de privatiser des pans entiers des services publics, écoles et universités comprises, au moment même où la population, groggy et incapables de réagir, cherchait à survivre dans les décombres, sans d'ailleurs qu'aucune aide sérieuse et structurée ne lui soit offerte. Mais ce n'est pas tout : comme à la Nouvelle Orléans, les autorités ont préféré laisser filer la population en exil, voire provoquer, par inertie, cet exil.

Ce qui frappe dans ces évènements, c'est qu'ils se déroulent dans des zones périphériques, pauvres et à fortes minorités raciales. Klein souligne que Porto Rico était déjà soumise à une cure d'austérité insidieuse, sous prétexte de dette publique presque organique, ainsi qu'à des choix agricoles, énergétiques et écologiques absurdes, nuisibles à la population, qui la rendaient dépendante du méprisant géant américain. Porto Rico est depuis longtemps un petit paradis fiscal pour les riches et, rappelle l'auteur, a même servi de modèle aux maquiladoras, aux zones de franchise fiscale qui ont permis aux entreprises américaines d'utiliser une main d'oeuvre bon marché, abondante et docile du Mexique. S'y joue une opposition frontale entre ce qu'il faut bien appeler la dystopie libérale – transformer l'île en un Luxembourg vacancier pour les riches investisseurs américains, sur le dos ou à l'exclusion des locaux - et l'utopie naissante (la souveraineté et la décentralisation politique, énergétique et alimentaire) de la population de Porto Rico, qui n'est heureusement pas à court de capacités de résistance et de résilience.

Si Klein est (modérément) optimiste, montrant l'enthousiasme et la vigueur des initiatives associatives locales, on a – il faut bien l'avouer – un peu de mal à partager ses espoirs. En effet, ces expériences dystopiques ont hélas tendance à s'étendre presque inexorablement, comme on l'a vu en Chine à partir de 1979. Et si l'on prend en compte, en sus de la gouvernance technocratique libérale qui mène de manière presque automatique la barque européenne, pour ne citer qu'elle ; si l'on regarde ce qui a été fait à la Grèce, c'est-à-dire à l'une des économies les plus faibles d'Europe ; si par dessus le marché, on observe la tendance autoritaire de plus en plus marquée des gouvernements libéraux, en ce compris dans des pays de haute tradition interventionniste comme la France, et que l'on prend en compte les effets de plus en plus inquiétants de la crise climatique, on est en droit de se demander si ce qui se passe dans les périphéries n'est pas en train de s'étendre, comme une peste, à l'ensemble des territoires. Autrement dit : ne sommes-nous pas en train de devenir des périphéries sacrifiables comme l'étaient les colonies aux XIXe et XXe siècles ?

Frédéric Dufoing
( Mis en ligne le 26/04/2019 )
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