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Du bon usage des grands hommes en Europe
de Jean-Noël Jeanneney , Philippe Joutard et collectif
Perrin 2003 /  23 €- 150.65  ffr. / 224 pages
ISBN : 2-262-02100-7
FORMAT : 14x22 cm

L'auteur du compte rendu : Chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France, Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque".

Pour une pédagogie européenne.

Voici la publication d’une rencontre tenue l’an dernier sous le patronage de l’association Europartenaire et de la Fondation Jean Jaurès, consacrée au commentaire d’une esquisse de sondage européen. Dans six pays de l’Union (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, Italie et Pologne) et sur des échantillons nationaux d’un millier de personnes environ, ont été en effet testées les prémisses d’une identité historique et culturelle européenne. Un essai doublement manqué, hélas, dans sa méthode, douteuse, comme dans ses résultats, qui décevront les europtimistes !...

Une première question, ouverte, demandait aux enquêtés des noms de personnages susceptibles, selon eux, de représenter l’Europe. A partir des réponses fournies, une seconde question, fermée, proposait de choisir les personnalités les plus représentatives parmi celles apparues le plus fréquemment dans la première question. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 44% des personnes interrogées sont incapables de citer un nom et, parmi celles qui y parvinrent, la majorité ont donné des noms vernaculaires et plutôt contemporains. Présentisme et prégnance des sentiments nationaux ne présagent guère d’une construction européenne efficace, s’inscrivant, elle, dans la longue durée… Preuve supplémentaire, si besoin est, que l’Europe n’est pas encore faite et que son panthéon, comme sa mémoire commune, restent embryonnaires…
Néanmoins, parmi les réponses données, des signes d’une première sédimentation de cette «communauté de destin» (Renan) se devinent. D’abord autour du couple franco-allemand, pivot culturel de cette identité. Ensuite, sur des moments historiques forts : la Renaissance et la Deuxième Guerre mondiale. Luther, Colomb et Vinci arrivent ainsi en tête des personnages retenus. Churchill et De Gaulle suivent. Manquent les héritages antiques, mécaniquement évacués dans la deuxième question (quid d’Aristote, d’Alexandre, de César ou de Platon ?). Manquent les pères fondateurs de notre union : Jean Monnet, Alcide de Gasperi, Robert Schumann, Spaak ou Adenauer demeurent, semble-t-il, méconnus. De quoi rendre pessimistes les Européens les plus convaincus !

Néanmoins, un problème de méthode, dont s’expliquent et s’excusent les auteurs du présent ouvrage, biaise franchement, plus qu’ils ne le laissent entendre d’ailleurs, ces premiers résultats. Comment déduire d’une enquête dans six pays européens, une identité qui en concernera bientôt 25 ? Le fait que les Pays-Bas n’aient pas été consultés, évacua par exemple Erasme, figure majeure du cosmopolitisme, des personnalités proposées. De même pour les grands compositeurs autrichiens, les philosophes grecs, etc… Des problèmes de traductions rendent par ailleurs difficile le traitement des données, l’accent ayant pu être mis dans certains pays sur la dimension historique plutôt qu’européenne des noms demandés.

Mais un signal et une entreprise ont été lancés, qui laissent espérer des enquêtes plus patientes, plus globales et plus exploitables en somme. Sur ces données, les différents auteurs du présent ouvrage exposent des analyses pertinentes sur le rapport à l’Europe en fonction des pays, des âges, des catégories socioprofessionnelles, etc. On y comprend que l’euro-scepticisme politique et économique britannique n’empêche pas un sentiment d’européanité, historique et culturel… Qu’une identité culturelle européenne passe non seulement par l’identification d’un terreau culturel commun mais aussi par la conscience de ses propres limites et le miroir d’une altérité ; ici, la Turquie, l’Orient en général, mais aussi, et c’est à craindre, les Etats-Unis, peuvent servir de repoussoir.

Enfin, la question de la nécessité d’un panthéon commun européen est posée. Comment façonner une identité commune, qui ne sacrifie pas les identités nationales mais s’y superpose, et n’apparaisse pas comme superficielle ni imposée ? C’est la question de la nécessité et des moyens d’une pédagogie européenne qui est ici soulevée. A l’aube d’un élargissement important de l’Union Européenne, ces interrogations sont capitales. Dans son Fédéralisme culturel, Denis de Rougemont, intellectuel à l’engagement européen trop méconnu, expliquait pourtant de manière convainquante : «celui qui veut participer de la culture européenne doit s’intégrer d’abord à une communauté qui a transmis cette culture et qui lui donne ses conditions de réalité, de création, de signification […] On ne saurait être un bon Européen, un bon participant de cette unité grandiose dans la richesse de ses diversités qu’est la culture européenne, si l’on n’est pas d’abord de quelque part.»

Thomas Roman
( Mis en ligne le 26/03/2004 )
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