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Essais & documentset Biographies  

Flora Tristan
de Evelyne Bloch-Dano
Grasset - Biographies 2001 /  20.15 €- 131.98  ffr.
ISBN : 2246575613

Flora l'insoumise

Qui est Flora Tristan ? "Une féministe ? Oui, mais pas seulement. Une militante? Elle n’a jamais appartenu à aucun groupe. Une figure de l’union ouvrière ? Soit, mais elle ne s’y consacre que dans les deux dernières années de sa vie…Elle dérange, elle agace. Moins écrivain que femme d’action, elle est rebelle à tout, y compris aux étiquettes". Auteur de Madame Zola paru chez Grasset en 1997, Evelyne Bloch-Dano tente d’éclairer les zones d’ombre et les contradictions d’une autre femme fascinante, morte à quarante et un ans, le 22 octobre 1848 après une vie de pionnière : Flora Tristan, ou la Femme-Messie.

De son enfance misérable, Flora Tristan gardera toute la vie "la haine de la misère et un mélange de répulsion et de compassion pour ceux qui l’éprouvent". Mariée à André Chazal, un homme médiocre et violent, elle s’évade d’une vie quotidienne où la femme est considérée comme une mineure par la lecture de Rousseau, Lamartine et surtout Madame de Staël. Elle s’occupe de ses deux enfants, se met à haïr son mari. En 1825, une femme ne divorce pas à l’amiable ! Pourtant, Flora conquiert sa liberté et quitte le domicile. Aux yeux de la loi, elle est une fugitive "une malheureuse paria, à laquelle on croit faire grâce lorsqu’on ne lui fait pas d’injure", écrit-elle.

En avril 1830, elle s’embarque toute seule pour le Pérou. Au bout de vingt-cinq jours de mer, le voilier fait escale aux îles du Cap-Vert. A nouveau blessée par une déception amoureuse - "exaltée, entière, idéaliste, elle attend tout de l’amour" -, elle rebondira dans un Pérou qui vient tout juste de se libérer du joug espagnol grâce à Bolivar et aux créoles indépendantistes. "Tu veux, donc tu peux", telle est sa devise. La révolution de Lima la pousse à s’engager dans un combat politique auprès du colonel Escudero, à ses yeux un héros. Puis, au contact des Péruviennes plus libérées que les Françaises, elle s’émancipe, convaincu que le vrai combat pour une femme est celui de la liberté.

En 1835, elle rentre en France, en femme active et ambitieuse. Louis-Philippe a été élu Roi, le nouvel ordre répond aux attentes de la bourgeoisie. Sous l’influence des Saint-Simoniens et de la place qu’ils accordent à la liberté de la femme, ainsi que de Charles Fourier, elle crée une association dont le but est d’accueillir les étrangères. Traquée par son mari, elle se bat jusque par voix de presse : diffamations, injures… Là encore, elle sort transformée de cette épreuve Pleine d’énergie, elle pose en voyageuse pour des journaux, soucieuse de son image. Très convoitée, elle ne cède pas à la passion et maintient de longues amitiés amoureuses. Elle entre dans le monde parisien aux moeurs très libres, rencontre Marie Dorval, Georges Sand, Arsène Houssaye… Si elle se dit libre, en réalité, elle est seule, selon son ambition : "Etre seule afin de vivre la vie de tous."

Femme de lettres, elle publie des articles dans des revues comme La Revue de Paris ainsi qu’un ouvrage intitulé Les Pérégrinations d’une paria en novembre 1837 dans lequel elle stigmatise l’esclavage auquel est tenue toute femme et la nécessité du divorce. "Elle plaide pour l’égalité des deux sexes, seule condition à la liberté des sentiments." Elle est enfin reconnue de ce Paris romantique qui se divertit en bals masqués, opéras et fêtes luxueuses. L’auteur décrit avec talent cette époque où les femmes commencent à s’exprimer dans la presse et se permet toutes les audaces. Ainsi, en Angleterre, elle se déguise en homme pour pénétrer la Chambre des Lords. Indignée par une société fondée sur le profit, elle constate la misère, la bassesse qu’elle engendre et dénonce les conditions de vie dans les hôpitaux psychiatriques et les prisons. Une avant-gardiste !

A son retour, sa mission "mystique" devient alors la lutte pour les droits des ouvriers. Logements de misère, journée de travail inhumaines... Evelyne Bloch-Dano dépeint la France de l’Assommoir. L’engagement majeur de Flora Tristan, ce qui fait sa grandeur s’inscrit dans cette action pour l’Union des ouvriers. Cinq ans avant Marx et Engels, elle jette les bases de ce qui allait être l’essentiel de la pensée sociale du siècle à venir. Elle rassemble ses idées dans un petit opuscule intitulé Union ouvrière. Elle incite les ouvriers à s’organiser. Pourtant, "trop bourgeoise pour le peuple, trop peuple pour les bourgeois", elle reste marginale. Aux yeux de l’auteur, elle est l’une des premières à avoir donné à la question de la femme la priorité politique. Elle propage ses idées à travers toute la France, au risque d’enfreindre la loi qui interdit les réunions politiques. Mais "ce Tour de France est aussi une marche vers la mort". Epuisée, elle termine son chemin de croix par une dernière étape en musique, à un concert de Liszt à Bordeaux. "Le chevalier errant" ne se relèvera plus.

Il faut lire ce magnifique portrait de Flora Tristan pour découvrir la vie romanesque d’une femme de l’avenir, aussi contradictoire qu'insoumise.

Emmanuelle de Boysson
( Mis en ligne le 20/04/2001 )
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