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De bruit et de fureur
de Virginie de Clausade
Plon 2016 /  16.90 €- 110.7  ffr. / 256 pages
ISBN : 978-2-259-24963-8
FORMAT : 13,3 cm × 20,0 cm

Le Luron et le SIDA

En premier lieu, l'auteur (née en 1981) souhaitait écrire un livre sur le SIDA, notamment sur les débuts de la maladie et de ses ravages durant les années 80. Mais c'est en en discutant avec son oncle Hervé Hubert, producteur et ami de Thierry Le Luron (1952-1986), qu'elle décida de raconter les deux dernières années de l'humoriste, lui-même atteint par le virus, pour produire au final un livre hybride sur la maladie et l'homme qui en fut touché.

Cette chronique macabre oscille donc entre les éléments biographiques de la vedette du music hall et la progression du virus dont De Clausade crée un personnage qui raconte avec cruauté ses méfaits (une idée par ailleurs quelque peu redondante et mal venue, qui vient parasiter le récit du martyre enduré par Le Luron). Le 13 novembre 2016 marquait les 30 ans de la disparition de Le Luron, date évincée pour cause d'anniversaire des attentats de Paris de 2015...

En 1984, Le Luron, au sommet de sa gloire, va bientôt apprendre qu'il est contaminé par le VIH et que ses jours sont comptés. La même année, il se rend à New York pour jouer son spectacle outre-Atlantique afin de célébrer une carrière déjà bien remplie. Ironie du sort, il s'y rend à nouveau un an plus tard (au prix de nombreux allers et retours épuisants) afin de voir si un traitement miracle pourrait le sauver.

Autre ironie bien triste, il fut l'un des premiers à soutenir Line Renaud (amie souvent et durement parodiée) dans son combat contre le SIDA sans savoir qu'il était déjà touché par la maladie, ce qu'il découvre quelques semaines plus tard. En effet, la maladie commence à décimer des milliers de gens ; c'est la mort, forcément publique, d'artistes comme Klaus Nomi (1983), Michel Foucault (1984) ou Rock Hudson (l'acteur fut quelque peu contraint de déclarer publiquement sa maladie, contrairement à Foucault, puis Le Luron lui-même dont on sut officiellement la cause de la mort près de 25 ans plus tard) qui fait réagir et mobilise. Ce sont les ravages de ce "cancer gay", comme on le dénommait alors, tuant des milliers de gens, qui poussent les chercheurs à trouver un traitement. Le Luron fut l'un des premiers patients à subir l'AZT, traitement qui lui permit de vivre quelques mois de plus et par lequel les malades des années 90 furent traités.

S'ensuit un parcours chronologique tout à fait horrible contre la maladie et la mort (que Clausade met très bien en scène, en insistant à la fois sur le poison qui le ronge et le courage qui le maintient en vie). Des moments de souffrance intense, de rémissions, d'espoir puis de rechute jusqu'à sa fin terrible, seul dans sa suite improvisée en chambre d'isolement stérile, où viennent se succéder les infirmières et les médecins. Le Luron ne veut plus qu'on l'approche, s'abrite d'un paravent pour ne plus être vu, et hurle sa colère au ciel, confiant à ses confidents, dont Hervé Hubert, sa terreur de la mort.

Le Luron échappe (grâce à un documentaire récent passé à la télévision) à l'image de saltimbanque vieillot qui lui collait à la peau, au profit de celle d'un vrai subversif talentueux qui sut croquer, souvent fortement, les mensonges des artistes et le ridicule des puissants : d'abord Giscard, puis Mitterrand dont le ministère tenta plus d'une fois de l'intimider avec censure et contrôles fiscaux à la clé. C'est tout le show-biz des années 70-80 et ses politiques que l'humoriste imita dans des parodies loufoques. Homme talentueux (bien que ses sketchs furent assez inégaux), Le Luron était avant tout un trublion dont le courage artistique et le talent irrévérencieux donnèrent un indice sur la grande force morale... qui le conduisit malgré tout au tombeau. Se sachant condamné un an plus tôt, il continua de faire de la scène et ce malgré la maladie qui l'épuisait. Il mourut dans une dignité de guerrier vaincu. Seul, décomposé et méconnaissable.

En cela, ce livre est un récit dur où l'on assiste, impuissant, à la mort d'un jeune homme humble et surdoué. 1986 priva la France de Balavoine, Coluche puis Le Luron, et leurs sens aigu de la diatribe contre le pouvoir. Il faut lire ce petit document pour se replonger dans la société parisienne des années 80 et de ce qu'il restait de subversif à l'époque. ''Fafa'', que chante Le Luron sur la musique de "Ces gens là", reste un réquisitoire tout à fait cinglant contre l'ancien premier ministre.

On peine aujourd'hui à retrouver ce type d'artiste, à la fois chansonnier dans le système et critique subtil du pouvoir en place. Et puis il y a le SIDA qui commence à décimer d'abord la population homosexuelle avant de s'étendre à tous les milieux, provoquant jusqu'à ce jour plus de 25 millions de morts.

Une effroyable histoire racontée avec les tripes. Un hommage, également, à un homme digne et courageux.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 13/01/2017 )
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