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Un homme sans identité
de Charles Berling
Le Passeur 2018 /  16,90 €- 110.7  ffr. / 144 pages
ISBN : 978-2-36890-578-4
FORMAT : 13,9 cm × 20,4 cm

Un comédien dans la ville

Charles Berling (né en 1958) est, avec François Cluzet, un digne successeur de Dewaere et Depardieu. Acteur protéiforme, il impressionne et étonne à chacune de ses apparitions au cinéma. Ridicule de Patrice Leconte, son premier grand rôle (il a alors 38 ans) lui permet d'enchainer avec une filmographie foisonnante. Retenons quelques titres importants : Ceux qui m'aiment prendront le train, L'Ennui, Scènes de crimes, à la fin des années 90.

Curieusement et injustement, il peine à trouver des réalisateurs à la mesure de son talent depuis 20 ans. Seuls Olivier Assayas et Anne Fontaine ont su le diriger dans un grand rôle avec Les Destinées sentimentales, Demonlover, L'Heure d'été pour le premier et Nettoyage à sec, Comment j'ai tué mon père, Marvin ou la Belle Éducation pour la seconde. En dépit de son indéniable talent d'acteur instinctif et intellectuel, sa filmographie reste inégale et Berling n'apparait plus que dans des seconds rôles, alors que Cluzet, lui, bénéficie de prestations de premier plan. Mais Berling est aussi homme de théâtre ; de Shakespeare à Koltès, en passant par Beckett et Yasmina Reza qu'il met parfois en scène, il opte pour des auteurs classiques comme modernes. Troisième corde à son arc : l'écriture. En 2001, il publie avec Michel Bouquet (dans la grande tradition des acteurs théoriciens de la comédie) Les Joueurs, puis en 2012 Aujourd'hui, maman est morte. Il revient au récit intime avec Un homme sans identité (un titre ironique car Berling ne cache pas ses idées progressistes), un texte alambiqué et halluciné sur la vie d'un comédien parisien de 60 ans.

L'accompagnant de dessins qu'il griffonne ci et là, Berling écrit une sorte de journal de bord que le métier de comédien (pour paraphraser Maurice Ronet) domine. Imprégnation du rôle, fugacité des représentations, passion du jeu, l'acteur se retrouve seul et fatigué lorsqu'il pénètre dans son appartement du sixième arrondissement. Parfois célibataire (15 jours sans relations amoureuses paraissent pour lui une éternité), souvent accompagné (l'auteur Berling se perd en descriptions passionnées du corps adverse), il improvise son récit après avoir récité son texte sur scène. La lecture est aisée, elle se balade parmi les mots comme le comédien sur le bitume des villes qu'il traverse pour exercer son talent.

Quelques souvenirs parsèment le tout. La naissance de son fils en 1990, les coulisses d'un tournage, la préparation d'un film, quelques rencontres évanescentes. Nous aimerions que Berling s'adonne à l'autobiographie plutôt qu'à une confession vague et imprécise sur les états d'âme d'un parisien riche et célèbre. Car malgré une belle couverture dostoïevskienne, le lecteur dérive sur les préoccupations et les obsessions d'un comédien "bobo" qui ne parvient guère à transcender son propos. Contrairement à son jeu d'acteur qui maitrise à la perfection l'incarnation d'un personnage, l'écrivain Berling se perd ici dans une sorte d'auto-contemplation où manque l'humilité du génie et la discrétion de l'artiste. L'emphase est plus approprié chez Sophocle (que Berling a adapté dans Oedipe le tyran) que dans un récit intime ; l'acteur se perd aussi dans quelques clichés sur la passion qui font doucement sourire. Il redevient bien plus intéressant quand il se confronte à l'anecdote ou à l'analyse de sa profession.

Le comédien devrait donc débusquer un nouveau grand rôle, qu'il attend depuis L'Ennui de Cédrick Kahn, plutôt que de jouer aux apprentis écrivains. Reste que le livre se lit sans risque, avec la tranquillité de ceux dont il ne reste rien.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 24/10/2018 )
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