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Essais & documentset Spiritualités  

Pourquoi je suis chrétienne - Un itinéraire spirituel
de Ghislaine de Montangon
Editions du Dauphin 2017 /  16 €- 104.8  ffr. / 238 pages
ISBN : 978-2-7163-1600-2
FORMAT : 14,0 cm × 22,0 cm

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autres, aux Editions du Cygne, de La Nudité, pratiques et significations (2008).

Le christianisme sans la faute

Chaque année, les idées et les croyances s’incarnent, prennent sens dans les peines et joies d’êtres de chair et de sang auxquelles elles viennent donner sens aux yeux de ceux qui les subissent. En cette année 2017, le témoignage de Ghislaine de Montangon vient apporter de l’eau au moulin d’un courant qui a connu une dynamique certaine depuis les années 1960, un courant qui n’a pas de nom officiel mais que l’on pourrait décrire comme une forme de christianisme hérétique, orientalisant, qui tente d’établir des ponts avec les sagesses bouddhistes, hindouistes, voire avec le chamanisme.

Ce courant de pensée a ses grandes figures décédées dont deux qui ont joué un rôle essentiel dans le parcours de l’auteure : Yvonne Trubert, initiatrice du groupe ''Invitation à la Vie'', femme inspirée, à moitié médium qui, pour reprendre les mots de Ghislaine de Montangon, apportait «trois clés : la prière du chapelet, des soins énergétiques, des pas dansés au rythme de sons chantés collectivement», et Arnaud Desjardins, disciple chrétien du maître hindou Swami Prajnanpad et fondateur de plusieurs ashram en France.

Ghislaine de Montaugon montre comment ces deux maîtres, ainsi que des auteurs plus récents découverts au fil de ses nombreuses lectures, l’ont aidée notamment à vivre et dépasser l’épreuve centrale de sa vie : l’accident de voiture de sa fille de 26 ans, en 2001, qui, à la suite de son traumatisme crânien, mène une vie végétative, laissant à la charge de leur grand-mère deux jeunes enfants.

Le livre, qui témoigne d’une recherche persévérante de la vérité et des moyens de garder encore des raisons d’exister quand, comme elle le dit elle-même, le danger de la dépression guète chaque journée, permettra aux lecteurs curieux de spiritualité de découvrir ou retrouver les grandes lignes d’un christianisme «dissident» qui prétend s’affranchir de toute notion de culpabilité, pour rejoindre une vision non-dualiste (celle, par exemple, du gourou indien Deepak Chopra mobilisé dès la première page du livre) qui cherche à s’affranchir de l’égo (et notamment du «cerveau gauche» qui raisonne trop) pour fusionner mystiquement avec l’énergie divine.

En donnant tous les arguments qui plaident pour ce courant de pensée, l’auteure, évidemment, en dévoile aussi les faiblesses que ne manqueraient certainement pas de relever les tenants d’un monothéisme plus «classique» (qu’il soit d’ailleurs juif, chrétien ou musulman). Le premier est peut-être l’absence de souci de rigueur dans la recherche des sources qu’on avance. Ainsi Mme de Montangon se borne-t-elle le plus souvent à citer les auteurs récents de sa mouvance sans chercher à les confronter à des sources plus anciennes et encore moins à celles qui les contredisent. Cela mène à des erreurs factuelles très visibles, comme lorsqu’elle appelle Jérusalem «cité de l’âme» (p.16) alors que c’est ''de la paix'' au sens de complétude et l’étymologie communément admise ; ou encore lorsqu’elle affirme à tort que Flavius Josèphe cite l’existence de Jésus (p.164), en se gardant bien d’ailleurs préciser à quel endroit… D’une manière générale, le judaïsme est très absent du livre : notamment de la page sur la Genèse (p.161), à part pour décréter sans démonstration que l’idée de faute originelle «n’est pas conforme au texte hébraïque original» sans autre autorité que celle de l’ancienne infirmière anesthésiste, théologienne orthodoxe (et jungienne…) Annick de Souzenelle (et tant pis pour les 3000 ans d’exégèse juive qui ont soutenu le contraire). On comprend bien pourquoi d’ailleurs : s’interroger sur ses principes et sa tradition réduirait à néant l’effort de poser l’évangile apocryphe de Thomas comme source légitime de compréhension du christianisme. Et penser un Jésus juif (et un judéo-christianisme qui est l’origine historique réelle du catholicisme) interdirait de séparer l’enseignement évangélique des notions de morale, de jugement, et de toute l’eschatologie (l’attente de la fin du monde, et de la rédemption finale) dont il est solidaire. Il est plus simple de tout mettre sur le dos de l’ignorance ou de la malhonnêteté des évêques du Concile de Nicée…

Dans le livre de Mme de Montangon, comme dans sa mouvance, la disqualification de la vérité argumentée (qui gardait encore une place, subordonnée à la Révélation, mais tout de même vivace, dans la théologie catholique traditionnelle) permet d’ouvrir la porte à n’importe quelle canalisation médiumnique comme celle de Neale Donald Walsch, dont il n’est même plus requis d’évaluer la pertinence des révélations : «Vraisemblable ou pas, son discours m’avait alors fourni un excellent guide», écrit-elle (p.20). Il n’est plus nécessaire que les propos soient vrais ni même vraisemblables, pourvu qu’ils plaisent. La vérité n’a plus sa place, puisque le jugement est exclu. Il faut réhabiliter les traditions chamaniques au nom du «Aimez vous les uns les autres» (p.162). Les démons n’existent pas. Dieu, perçu comme une source énergétique ainsi que le font souvent les médiums (et qui n’est donc pas transcendant à sa création), se donne «en vérité» (sans stratagème ni illusion possible) comme connaissance et force d’amour inconditionnel dans la «nudité totale», l’abandon de soi (qui doit être plus qu’un lâcher prise car sinon les pensées tristes pourraient affleurer dans cette ivresse - p.105, sans aller tout de même jusqu'à l’anomie libertaire soixante-huitarde jugée trop «nivellatrice» - p.145).

Toute négativité doit être évacuée, même constructive (p.105), tout ce qui est problématique - et donc de ce fait en réalité source d’intelligence - est révoqué comme inutile. Il faut se laisser hypnotiser, à coup de yoga, de transes, de méditation et de prières individuelles ou de groupe qui ont «le pouvoir de déclencher une force énergétique importante, ressentie ou non d’ailleurs par les participants» (p.85), comme dans le New Age, par les ressources positives du présent, renoncer aux sacrifices de la fourmi pour faire l’éloge de la cigale (p.119), envisager la vie comme un «jeu de l’oie sur le chemin du bonheur» (p.27) où les souffrances sont des occasions de mieux se connaître soi-même (et non de réparer des fautes ou de gagner une vie éternelle meilleure puisque la perspective de l’au-delà de la mort est annulée par l’ici et maintenant), c'est-à-dire du Soi, dans lequel l’âme s’anéantit comme, au fond, elle anéantit autrui.

Le témoignage rend compte agréablement, et même souvent avec beaucoup d’émotion, de la manière dont l’auteure a assis son existence sur ce credo-là. Mais il omet hélas d’expliquer comment un monde avancerait dans son ensemble sur de telles bases eudémoniques, autant que de rendre justice aux arguments de la tradition dualiste auxquels il s’oppose. L’aveuglement est au bout des intentions bienveillantes, et le livre peut être au fond lu, à un niveau philosophique, comme une nouvelle illustration des dangers d’une trop grande hâte à évacuer le négatif de la foi comme de la pensée.

Christophe Colera
( Mis en ligne le 20/03/2017 )
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