L'actualité du livre
Essais & documentset Spiritualités  

Astrologie et religion au Moyen-Age
de Denis Labouré
Domuni - Spiritualité 2019 /  20 €- 131  ffr. / 352 pages
ISBN : 978-2-36648-095-5
FORMAT : 15,0 cm × 24,0 cm

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, chez L’Harmattan, de Individualité et subjectivité chez Nietzsche (2004) et Les Médiums, une forme de chamanisme contemporain (2017).

Sapiens dominabitur astris

Un certain fondamentalisme chrétien, qui a eu des antécédents dans l’histoire, tend de nos jours à diaboliser l’astrologie comme pratique divinatoire occultiste. C’est une opinion que combat Denis Labouré, astrologue chrétien, titulaire d’un master de théologie qui, dans un récent essai historique très approfondi, propose une interrogation nouvelle sur l’articulation entre la «science» de la lecture des astres et la foi en la toute puissance divine.

Pour les Pères de l’Eglise, nous dit Denis Labouré, «le monde est un miroir dans lequel Dieu se fait contempler (…) chaque chose est un signe où Dieu se fait connaître à nous». Certes Ignace d’Antioche, Justin, Tertullien et Saint Augustin ont milité contre la divination par les astres, mais Isidore de Séville, en s’appuyant sur le précédent biblique des rois mages, a ouvert la voie à une astrologie qui, sans voir dans la position des étoiles et des planètes une cause de l’histoire humaine, l’analyse comme une série de signes que Dieu envoie aux hommes pour les éclairer sur leur condition.

Rien de mieux, pour convaincre le lecteur, que d’examiner dans une perspective historique, la période faste de l’astrologie chrétienne que l’auteur situe au Moyen-Age, plus précisément entre le XIIe et le XIVe siècles. Denis Labouré retrace précisément la généalogie de cette astrologie occidentale, à travers les auteurs indiens, babyloniens et perses. Il montre comment l’arabe Albumasar (787-886) synthétisa ces traditions et, par ses seuls travaux sur les astres, initia à l’aristotélisme de grands penseurs français ultérieurs comme Thierry de Chartres ou Guillaume de Conches. Pour atténuer la détermination du monde sublunaire par le monde supralunaire, Albert Le Grand (1193-1280), quant à lui, rattacha directement l’âme humaine à la cause première (Dieu) de sorte que les astres n’agissent que sur les corps (y compris les humeurs) ou comme signe du moment opportun, ce qui permit de résister à ceux qui accusent l’astrologie d’asservir l’homme aux démons de la nature, une voie de compromis que suivra Roger Bacon (1214-1294) en mettant l’accent sur l’influence qu’exerce l’astrologie sur les mouvements des foules.

Puis Denis Labouré se concentre sur les recherches d’un astrologue français dont les travaux firent date, Pierre d’Ailly (1351-1420) qui fut en son temps chancelier de l’université de Paris et aumônier du roi Charles VI. L’auteur montre comment le savant s’est positionné à l’égard de ses prédécesseurs sur les grands problèmes intellectuels médiévaux comme la datation de l’univers et la théorie des grandes conjonctions d’Albumasar (la mort des empires en fonction de la conjonction Saturne-Jupiter-Mars). Au terme de ces analyses, Pierre d’Ailly en viendra à voir dans le Grand schisme d’Occident (la dualité des papes), non pas un signe de la fin des temps mais une simple crise incitant à la réforme morale. Il en tirera aussi une vision prémonitoire de 1789 comme tournant de l’histoire du monde… Par ailleurs, en annexe du livre, le lecteur trouvera une intéressante traduction par le professeur Giuseppe Nastri assisté par Denis Labouré du traité du cardinal d’Ailly «Sur la concordance entre l’astronomie et la vérité des récits historiques» qui peut nourrir bien des travaux herméneutiques complémentaires sur la correspondance entre l’histoire humaine et les constellations.

On ne peut manquer d’être impressionné par la somme d’érudition mobilisée par Denis Labouré, féru de calculs astraux, lorsqu’il expose par exemple à propos des conjonctions de Jupiter et de Saturne, schémas à l’appui, que «les conjonctions de Jupiter avec Saturne sont éloignées de 20 ans environ, lorsque Saturne a parcouru les deux tiers de sa révolution (…). Or la longueur de l’arc séparant une conjonction et la suivante (mesurée en sens antihoraire) est légèrement supérieure à 240°. (…) Initiée dans Bélier, un signe de feu, la conjonction de Jupiter avec Saturne se reproduit ensuite dans les deux autres signes du même élément. Puis elle se produit ensuite dans le Bélier». L’aridité de ce genre de démonstration (qui en garantit aussi le sérieux) est toutefois heureusement tempérée par les résumés didactiques que Denis Labouré place à la tête de chaque chapitre et sous-chapitre, faisant de son livre un manuel d’une grande clarté, accessible aux étudiants et à tous les curieux qui, au-delà des modes actuelles - qui abandonnent l’astrologie au néo-paganisme ou aux «sagesses» asiatiques -, veulent comprendre la place que cette discipline a pu avoir, par le passé, dans l’intelligentsia européenne. Il ouvre aussi un champ de réflexion aussi passionnant que complexe sur la valeur que le chrétien accorde au monde créé pour l’éclairer dans son cheminement d’accomplissement spirituel sans rien sacrifier ni de son libre-arbitre ni de l’obéissance à son Créateur.

Christophe Colera
( Mis en ligne le 22/03/2019 )
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