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Le Bonheur d'être soi
de Moussa Nabati
Fayard 2006 /  20.00 €- 131  ffr. / 304 pages
ISBN : 2-213-62526-3
FORMAT : 15,5x23,5 cm

L'auteur du compte rendu : Antoine Bioy est maître de conférences des Universités et psychologue clinicien.

Un fallacieux ouvrage…

Transfuge des éditions Jouvence et Bernet-Danilo, Moussa Nabati signe aux éditions Fayard un ouvrage «entre deux». Mi-essai, mi-ouvrage de développement personnel, un ton se voulant vulgarisateur, Le Bonheur d’être soi ne convainc pas, loin s’en faut.
Le fil rouge de l’auteur est de montrer que le vrai accès au bonheur (notion dont Moussa Nabati discute les tenants) n’est accessible que lorsque l’individu «ose être lui-même». Ce qui empêche cela selon l’auteur est la présence d’une forme de dépression inconsciente qui ronge «l’enfant intérieur» chez nombre d’entre nous.

Le thème développé par Moussa Nabati aurait pu s’avérer riche, si ce dernier ne se livrait pas à un détournement éhonté de certains concepts issus de la psychopathologie et de la psychologie. Ainsi en est-il par exemple de cette dépression inconsciente qui, selon l’auteur, barre l’accès au bonheur : la «dépression infantile précoce ». Elle n’est tout bonnement jamais caractérisée dans l’ouvrage, et devient pourtant un véritable gimmick, sous l’acronyme de «DIP», avec des sens variables, suivant ce que l’auteur souhaite faire dire à ce syndrome. Cela ne serait pas véritablement gênant s’il s’agissait d’une métaphore de l’auteur pour exprimer son idée. Mais en fait, la «DIP» est un trouble bien identifié en psychopathologie – une dépression majeure chez le petit enfant, aux symptômes si graves qu’ils sont parfois confondus avec l’autisme –, ici vidé de toute sa substance pour ne devenir qu’une vague dénomination presque familière.

Moussa Nabati l’affirme néanmoins, cette «DIP», suggérée par lui comme plus ou moins présente chez tous (évidemment de façon inconsciente…), est globalement ce qui prive de la liberté d’être soi et, pour le démontrer, l’auteur fait appel à un argumentaire qui laisse bien souvent pantois. En effet, Moussa Nabati se livre à une juxtaposition de banalités (les choses matérielles participent au bonheur, mais elles ne sont pas tout, etc.) ou à d’autres arguments plus ou moins triviaux déguisés par un discours pseudo-autorisé à coup de vocabulaire emprunté aux sciences humaines («inconscient», le «moi», «fantasme pervers»…). Sauf qu’à y regarder d’un peu près, pratiquement aucun de ces mots «savants» n’est employé dans un contexte adapté, avec le sens qui leur est propre !

Ainsi, présenté comme docteur en psychologie de l’université de Paris (ce qui ne correspond pas à une dénomination universitaire exacte) en quatrième de couverture, Moussa Nabati est également présenté comme psychanalyste. L’affirmer relève d’une démarche curieuse, car l’auteur n’use ni de la méthode analytique, ni correctement de ses concepts. On reste ainsi interloqué devant l’usage réservé, par exemple, à la notion de libido qui, comme la «DIP», est mise à toutes les sauces (mais jamais la bonne) sans jamais être définie, ou encore de l’essai de définition de l’Œdipe, que même un étudiant de première année en psychologie n’aurait pas osé mettre dans une copie, tellement la définition ici apportée est partielle et ne renvoie pas à son contenu psychanalytique réel.

Peut-être a-t-on ici l’explication que sur les 300 pages que recouvre l’ouvrage, on ne trouve aucune référence ni début de bibliographie. L’auteur aurait-il eu du mal à trouver des références qui puissent accréditer son usage très particulier des concepts sur lesquels il fait mine de s’appuyer ? À la place, on trouve la bonne veille méthode du «tout le monde sait que…». Par exemple, l’auteur affirme de façon péremptoire qu’il existe nombre de recherches démontrant que le schizophrène se porte sur le plan physique «bien mieux qu’un individu moyen» (p183). Évidemment, aucun début de référence n’est cité parmi «toutes les recherches» évoquées, ce qui est pour le moins dommageable, car notamment pour cet exemple, nous avons été incapable de retrouver dans la littérature scientifique une quelconque trace venant étayer ce propos…

Le bonheur d’être soi est certes écrit dans un style agréable, mais pour autant la rigueur intellectuelle qui l’a dictée questionne grandement. Et ce questionnement va jusqu’à la plus grande gêne lorsque l’on se rend compte que cette absence de rigueur intellectuelle sert des partis pris qui contrastent franchement avec la démarche psychologique et psychanalytique dont l’auteur semble pourtant se réclamer. Ainsi, pour revenir à la «DIP», Moussa Nabati est catégorique : «La DIP germe donc lorsque l’enfant reçoit une quantité insuffisante d’amour, ou encore un amour de mauvaise qualité (…)» (p72). Acta Est Fabula ! On retrouve les mêmes saillies définitives, sans nuances, à maints endroits jusqu’aux incursions directes dans le domaine médical. Ainsi, dans une courte liste des «malaises psychosomatiques», l’auteur cite sans vergogne la migraine – qui est une pathologie neurologique, rappelons-le… – ou encore l’insomnie – qui est un signe clinique renvoyant à pléthore de causes possibles, et non une entité clinique en soi. Et pour donner un dernier exemple parmi tant d’autres, citons ce que dit Moussa Nabati du système immunitaire, dont l’efficacité serait «dépendante de l’importance de la DIP et de la culpabilité inconsciente expiatoire, à l’origine de la vitalité ou de la chétivité du sujet, de son en-vie de vivre ou de dépérir» (p186). Que dire devant tant d’affirmations définitives et non justifiées ? S’ajoutent à cela des chapitres abordant par exemple la question de la famille ou de la sexualité, où pointe parfois un archaïsme de pensée à peine masqué, se nourrissant d’idées préconçues et arbitraires. L’acte sexuel prouve ainsi à l’homme qu’il est viril, vivant et… «qu’il se porte bien» ! L’homme obéit ainsi au «besoin instinctif» et la femme, à contrario, «au désir» (p209-210). Une vision hygiéniste pour le moins curieuse, qui se paye le luxe d’affirmer que la «sexothérapie n’a aucun fondement rigoureux» (p210) !

En définitive, Moussa Nabati met en avant sa fonction de psychologue et de psychanalyste (avec appui sur des situations cliniques) pour nous vendre avec cet ouvrage un propos qui ressemble à tout, sauf à un ouvrage de sciences humaines, même de vulgarisation. Le Bonheur d’être soi se contente de lier entres elles, il est vrai de façon aussi plaisante qu’un bon roman de science-fiction, des notions dont l’auteur n’a gardé que la coque, l’appellation, en les vidant de tout contenu scientifique et au final de tout sens, entreprise fort déloyale à notre sens. L’ouvrage se termine comme il s’est entièrement déroulé : en commençant par une banalité rappelant «la justesse» (p279) du dicton populaire : «l’argent ne fait pas le bonheur, mais y contribue», pour se poursuivre par une synthèse jamais documentée de diverses idées à propos de la place de l’argent. Idées dont la majeure partie est, il est vrai, parfois plus proche d’emprunts à un magazine de plage que d’éléments issus d’un ouvrage de référence, même s’il peut parfois user du même vocabulaire. Tout en reconnaissant à l’auteur une certaine facilité d’écriture, on déplore qu’il la mette au service d’une fausse tentative de vulgarisation à laquelle peut-être certains se laisseront prendre. Hélas pour les vraies sciences humaines…

Antoine Bioy
( Mis en ligne le 17/07/2006 )
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