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De quelques écrits de Rothko... | | | Mark Rothko Ecrits sur l'art - 1934-1969 Flammarion - Champs 2007 / 10 € - 65.5 ffr. / 262 pages ISBN : 978-2-08-120831-5 FORMAT : 11x18 cm
Première publication française en octobre 2005 (Flammarion).
L'auteur du compte rendu : Outre des collaborations régulières avec des galeries ou dans la presse, Jérôme Poggi travaille dans le champ de lart contemporain au sein dune structure quil a créée, Objet de production. Il enseigne à lEcole centrale de Paris, à la London University et dans plusieurs universités américaines à Paris. Ingénieur-économiste de lEcole centrale de Paris, diplômé de lEHESS et titulaire dune maîtrise dhistoire de lart (Paris I), il prépare un doctorat sur «le commerce de lart moderne à Paris sous le Second Empire». Imprimer
Que certains peintres soient en même temps doués du talent de lécriture est une qualité que de nombreux artistes ont manifestée depuis la Renaissance. Michel Ange est lauteur de poésies aussi puissantes que ses sculptures, Léonard de Vinci de textes aussi visionnaires que ses inventions, Piero della Francesca de traités aussi scientifiques que ses peintures, etc. La liste pourrait être longue et sélargir à dautres pays que lItalie et dautres siècles que la Renaissance, même si la période humaniste fut particulièrement propice à ces croisements de genres.
Les XIXe et XXe siècles furent cependant les plus riches en écrits dartistes, de Maurice Denis à Yves Klein, de Kandinsky ou Paul Klee à Gerhard Richter, de Marcel Duchamp à Joseph Kosuth ou Robert Morris, etc. Autant de textes théoriques, de revendications et de manifestes esthétiques ou politiques que les artistes publièrent volontairement pour participer au grand débat moderniste. Faisant écho à ces publications, de nombreuses éditions posthumes décrits dartistes se sont multipliées, réunissant souvent des textes inédits, des correspondances, notes, brouillons, plus ou moins intimes ou confidentiels, dont la valeur, si elle nest pas forcément théorique, est au moins biographique.
Cest à cette catégorie quappartient le recueil de textes de Mark Rothko publié chez Flammarion par Miguel Lopez-Remiro (aujourd'hui en poche dans la collection "Champs"). Alors que de nombreux peintres de sa génération eurent une activité littéraire largement documentée et publiée (Motherwell, Reinhardt, Newman), Rothko passait jusquici pour un peintre nayant que rarement fait usage de la plume pour exprimer ses idées, dont on ne connaissait quune douzaine de textes jusquici. La découverte en 1988 dun manuscrit inédit du peintre, écrit autour de 1940 avant que Rothko ne devienne peintre abstrait, et publié depuis sous le titre La Réalité du peintre, commença à infirmer une idée que le présent ouvrage entend définitivement récuser. Daprès Miguel Lopez-Remiro, qui a consacré sa thèse de doctorat au peintre américain, cette publication, en réunissant la totalité des textes de Rothko conservés dans des institutions ou par ses descendants (conférences, articles, préfaces, correspondances, brouillons, notes) prouverait qu«en réalité, Rothko a toujours écrit». Elle démontrerait même que, contrairement à une certaine idée commune, le peintre naurait pas renoncé à lécriture au moment où il adopta labstraction, la moitié des textes publiés étant postérieure à 1950.
Paradoxalement, cest un peu la thèse contraire qui se dégage de la lecture de ce recueil de textes. Lexhaustivité à laquelle le recueil prétend tend précisément à prouver que Rothko eut une activité littéraire effectivement limitée. En effet, seule une mise en page aérée et lutilisation dune taille de police élevée permettent aux écrits du peintre de remplir deux-cents pages. Dautant que plusieurs «écrits» ne sont en fait que des transcriptions dentretiens, des notes plus ou moins précises prises par des journalistes au cours de discussions avec lartiste, voire même des articles consacrés à Rothko, dans lesquels le peintre est cité plus ou moins longuement. Il faut également ajouter que l"importante correspondance» que Rothko entretint avec ses confrères, galeristes et autres critiques (une cinquantaine de lettres en tout et pour tout) occupe près dune moitié de louvrage et ne présente souvent quun intérêt anecdotique, même dans le cas de sa correspondance avec Barnett Newman (qui témoigne certes de lamitié des deux peintres mais peut difficilement être présentée comme des écrits sur lart). Enfin, il convient de préciser, comme le reconnaît la préface, que «certains de ces textes ont le caractère fragmentaire, parfois elliptiques, parfois peu clair, de notes qui nétaient initialement pas destinées à la publication». Le choix de publier lensemble de ces textes aurait été pertinent si l'édition avait été effectivement exhaustive (ce dont on doute surtout dans le cas de la correspondance) et présentée de façon plus critique et raisonnée.
En dépit de ces remarques, il faut cependant se réjouir de pouvoir lire ici plusieurs textes de Rothko, qui démontrent à eux seuls la grandeur du peintre et de lhomme. Il est intéressant de pouvoir lire regroupés quelques textes connus de lartiste, publiés de son vivant dans la presse, des catalogues dexpositions ou des revues davant-garde. Mais ce sont surtout les textes les plus anciens qui révèlent un aspect de la personnalité de Rothko dont on connaissait peu de témoignages directs. Il y aborde la question de léducation artistique, de la transmission et du partage de lexpérience artistique, thèmes auxquels il réfléchira particulièrement dans les années 30 alors quil était professeur pour jeunes enfants, et qui resteront centraux tout au long de sa vie. Ce sont en effet ces mêmes préoccupations que lon retrouve quelques années plus tard dans sa correspondance avec plusieurs conservateurs de musées, dans laquelle il explique, avec une logique et une honnêteté extrêmes, la façon dont il doit être, ou non, fait usage de ses peintures. Rothko nhésite pas à sopposer à lacquisition par le Whitney de ses tableaux quand il sait que les conditions dans lesquelles ils seront exposés iront à lencontre de leur nature propre. «Une peinture vit par lamitié, en se dilatant et en se ranimant dans les yeux de lobservateur sensible. Elle meurt pareillement. Par conséquent, cest un acte dur et risqué que de lenvoyer de par le monde».
Il ne serait sans doute pas injuste dappliquer un tel avertissement à la publication dun texte. Le présent recueil échoue en effet dans sa tentative de faire de lui un théoricien ou un critique. La gloire de Rothko nen est nullement atteinte. Au contraire peut-être. Il nest pas nécessaire de faire dun peintre un écrivain pour nourrir sa gloire. Dans le cas de Rothko, sa peinture, et sa probité dartiste, y suffisent.
Jérôme Poggi ( Mis en ligne le 29/02/2008 ) Imprimer | | |
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