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De Neuville : combien de divisions ? | | | François Robichon Alphonse de Neuville. 1835-1885 Ed. Nicolas Chaudun 2010 / 39 € - 255.45 ffr. / 175 pages ISBN : 978-2-350-39090-1 FORMAT : 23,6cm x 29,8cm Imprimer
Qui connaît aujourdhui Alphonse de Neuville, non pas même dans le grand public, mais parmi les amateurs dart, voire les historiens de lart ? Consacrer une monographie, la première du genre, nous apprend-on, à ce peintre oublié relèverait donc de la gageure. Pire encore, il sagirait de lun de ces peintres fréquemment qualifiés de «pompiers» et, à lintérieur même de cette infamante catégorie, du pire, le peintre de batailles, nationaliste, «cocardier», bref «ringard» pour employer un terme souvent entendu. Cest à cette tâche que François Robichon, universitaire, spécialiste de l'iconographie historique et militaire française du XIXe siècle, consacre un bel ouvrage.
Bel ouvrage si lon veut bien commencer par les apparences : iconographie complète, bien mise en page, très correctement reproduite, qui a bénéficié dune coédition du ministère de la défense, dont la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives se veut le héraut du passé militaire de la France. Lauteur fait montre dune grande bienveillance pour lhomme et luvre, trop grande pourront dire certains, du fait quelle le conduit à passer quasiment sous silence les jugements négatifs des critiques de la seconde moitié du XXe siècle, contempteurs du «pompiérisme».
Louvrage est composé de manière classique, mêlant les éléments biographiques et les uvres en suivant la chronologie dune existence bien remplie mais brève, lartiste étant décédé à 50 ans. Cette courte vie a connu deux périodes bien distinctes : la carrière ordinaire dun dessinateur et peintre estimé mais assez obscur, puis, celle dun peintre reconnu et fort prisé, y compris quant à la cote de ses uvres, avec la césure de «lannée terrible».
Avant 1870, un dessinateur et peintre parmi beaucoup dautres. Illustrateur tout dabord, de journaux de romans populaires, surtout consacrés à laventure, comme ceux de Jules Verne, de Mayne-Rayd ou encore dAlfred Assolant, ce quil ne cessera jamais totalement dêtre, le succès venu. Peintre dhistoire contemporaine, jouissant dune honnête réputation depuis le salon de 1859 où son ''Siège de Sébastopol'' est salué, en passant par le salon de 1864 où son ''Épisode de la bataille de Magenta'' confirme son talent. Chantre des exploits militaires français, mais aussi de ceux des troupes de Garibaldi dans sa campagne de 1860.
En 1870, se situe le tournant que de Neuville lui-même a ainsi expliqué, parlant de ses uvres de 1873 comparées à celles de 1870 : «Il est certain que cette guerre ma singulièrement mûri et quentre les deux figures que jai exposées en 1870 et mon Bourget de 1873, il y a une grande distance. Entre les deux javais vu ; javais entendu le canon ; javais vécu la vie militaire (
) De lintuition, jétais passé à la réalité». En effet, de Neuville sétait engagé et avait participé à nombre de sorties destinées à rompre lencerclement prussien, comme à Longboyau ou au Bourget. Il avait ressenti le froid, la boue, vu la mort, les morts. Cette expérience a nourri sa peinture jusquà son dernier jour. Ce nest pas le lieu de citer ici les toiles qui lui ont valu la célébrité. Une seule suffira à faire comprendre les raisons dun succès, mais aussi dune éclipse durable.
''Les Dernières cartouches'', clou du salon de 1873, sinspire dun épisode vécu dans les premiers jours de la guerre de 1870 à Bazeilles où des soldats français ont opposé une résistance héroïque mais vaine aux Allemands. Le grand public, mais aussi les critiques, y ont vu le symbole de la défaite du courage malheureux face à un ennemi supérieur mais invisible. Mais ce succès même a valu à cette page de devenir le symbole de la peinture cocardière, du «chromo» patriotique, poncif rebattu jusquà la nausée. Si lon ajoute à cela que la peinture dhistoire meurt avec la Première Guerre mondiale, que la peinture figurative subit les attaques du cubisme, du surréalisme, de labstraction, on comprend que de Neuville ait pu personnifier le peintre «pompier» par excellence en compagnie de son confrère et ami Detaille, autre peintre dhistoire enseveli dans le même opprobre.
On demande donc au lecteur davoir le courage de surmonter ses a priori les mieux ancrés, les plus fondés, pour reprendre contact avec toute une époque, celle des derniers combats dhomme à homme avant que le progrès de larmement ne transforme le combattant en taupe, celle des pantalons garance et des charges de cavalerie. Il pourra aussi apprécier des morceaux de peinture bien enlevés, reflets sur un casque ou une cuirasse, effet de neige ou de brouillard, petit pan de mur blanc au Bourget, où le plâtre contraste avec la boue. Même si nous ne partageons plus lémotion patriotique des contemporains, nous pouvons apprécier le métier, le talent de lartiste.
De Neuville peut sortir du Purgatoire grâce à ce beau livre. Cest tout le mal que nous souhaitons à lartiste et tout le bien que nous souhaitons à louvrage.
Jean Etienne Caire ( Mis en ligne le 15/12/2010 ) Imprimer
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