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Poches -> Littérature |
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Terrier de ville / Terrier des champs | | | Marie-Hélène Lafon Les Pays Gallimard - Folio 2014 / 6,20 € - 40.61 ffr. / 160 pages ISBN : 978-2-07-045290-3 FORMAT : 10,8 cm × 17,6 cm
Première publication en septembre 2012 (Buchet Chastel)
Voir aussi :
- Marie-Hélène Lafon, Album, Buchet-Chastel, Septembre 2012, 103 p., 10 , ISBN : 978-2-283-02572-7
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Retour sur deux superbes petits livres (dont Les Pays jouit ces jours-ci d'une publication au format de poche), à savourer comme une friandise réconfortante et à offrir à ceux quon aime, en gage daffection : superbes, parce quils sont écrits avec beaucoup de tendresse et ces beaux mots choisis dont la littérature parfois oublie lusage ; superbes aussi par leur complémentarité, Album, abécédaire tenant poétiquement lieu de lexique et de filtre sélectif des acquis antérieurs du quotidien pour accueillir les expériences nouvelles.
Parce quà travers lhistoire banale dune jeune paysanne du Cantal venue étudier et simplanter à Paris, sont transmis des messages dune éternelle actualité et dune féconde polysémie : entre lêtre (être pays, payse) et lavoir (un territoire dorigine, une appartenance) et un lieu daccueil ou dexil, lintime singulier et limmensité plurielle, Les Pays ne connaissent pas de frontières étanches mais des épousailles et des chevauchements sélectifs, la découverte dun nouveau monde que colorent les paysages et les impressions sensorielles de lenfance traversées dans lAlbum.
Quelles que soient ses origines, chacun peut se retrouver dans ce lien inscrit ou recherché, jusquau prénom et nom de famille ajouterions-nous , à une plus ou moins lointaine ruralité, à des couleurs ou des sonorités, à un lieu «comme à la maison», dont les pratiques familiales et les pesanteurs de classe portent la signature durable. Mais pour le dire, nul nest besoin chez Marie-Hélène Lafon dévoquer les grands préceptes anthropologiques connus par ailleurs. Un exemple bien ciblé suffit : celui dune étudiante boursière, tenue par ses conditions sociales à lécart des parisianismes et contrainte sur place aux emplois à plein temps les mois dété. Au fur et à mesure de ses réussites brillantes, elle sera amenée à apprivoiser la ville et à en épouser des normes inédites.
Très joliment avancés, ses premiers pas en région parisienne, Porte de Gentilly, pourraient relever dun sketch de Raymond Devos. Certes, depuis le Moyen-Âge, les enceintes des grandes villes ont reculé et leur matérialisation a plus ou moins disparu, rendant caduque la présence de portes quaucun gardien ne vient désormais ouvrir ou refermer. Restent cependant les distinctions tenaces entre la vie «intra-muros», même là où les murs nexistent plus, et celle des «terriers» de la périphérie, et plus encore le grand écart créé entre ce que Claire, lhéroïne des Pays, appelle son terrier de ville, en contraste avec son terrier des champs. Mais sans antagonisme. Elle a deux endroits où aller, deux pays tellement différents à conjuguer, et quelle habite pleinement avant que «sa maison» ne ferme définitivement pour lhiver.
Cest précisément sur ces allers-retours souples et consentis, en écho des nombreux voyages entre la Seine et la Santoire, et inversement, que se fonde la subtilité de lécriture, où lemploi fréquent du mode conditionnel établit un espace transitionnel entre vie réelle et rêvée, entre hier et aujourdhui, où les sons et les odeurs se télescopent ou se rencontrent sans jamais sanéantir. Et il y a surtout les gens, les «pays», images touchantes de fidélité solidaire quaucune ascension, si haut soit-elle dans léchelle sociale, dun des leurs ne saurait dénigrer : ceux «du pays», restés là ou partis ailleurs, débordant de générosité, «le père», belle figure de savoir rural et deffacement programmé, notamment mise en scène au Salon de lAgriculture avec humour et nostalgie, ou encore lors de ses courtes mises en cage parisiennes.
Et dans ces deux ouvrages, comme dans les précédents, hormis les infinies nuances de lécriture, il ny a ni étalage de connaissances, ni place pour la forfanterie, seulement ce bel hymne à la terre que chacun, fort de ce réel ou immatériel patrimoine, porte en soi, afin de braver linconnu, jusquà certaines limites concédées avec une grande humilité.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 12/09/2014 ) Imprimer
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