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Poches -> Littérature |
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Contre le césarisme tropical | | | Mario Vargas Llosa La Fête au Bouc Gallimard - Folio 2004 / 8.40 € - 55.02 ffr. / 580 pages ISBN : 2-07-031412-X FORMAT : 11x18 cm
Ouvrage publié une première fois en avril 2002 (Gallimard).
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La dictature est sanglante, même sous le soleil et les palmiers. Tel est le message de Mario Vargas Llosa, qui, armé de sa plume dauthentique libéral tocquevillien (mais avec des accents sadiens), sempare du phénomène bien latino-américain quest le caudillo. Car si le mot se conjugue dans toutes les langues ou presque, depuis le Grand Timonier pékinois jusquau Conducator roumain et au Führer germanique, il faut bien convenir que lAmérique latine a sécrété sa propre veine d'hommes providentiels. Ainsi les frasques du parachutiste Chàvez, qui se réclame du général de Gaulle comme de Castro, en sont une énième variante, aux couleurs du Venezuela pour cette fois. Cest que depuis le départ des descendants des conquistadors (au premier quart du XIXe siècle), les hommes politiques se posent soit en fils de Simon Bolivar "El Libertador", soit en technocrates dinspiration anglo-américaine. Lart de la politique dont parlait Aron et que révère Vargas Llosa est ainsi perverti, que ce soit à travers sa variante poujadiste comme oligarchique.
Vargas Llosa livre donc, au travers de douloureuses retrouvailles entre un père mourant et par ailleurs ancien ministre dun dictateur et sa fille, brillante avocate exilée aux États-Unis, le récit de la tyrannie de Trujillo (1930-1961), qui mit la République Dominicaine sous sa coupe. Cette narration-fleuve, véritable polyphonie qui met en scène des dizaines de personnages, est sous-tendue par lidée quil sagit bien là dune variante caraïbe du totalitarisme, auquel personne na pu échapper. Et tel est bien le nud du reproche insurmontable de lexilée à son père, cest à dire davoir survécu et donc collaboré
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La fascination des peuples dAmérique latine pour lordre a été décrite par Vargas Llosa dans son premier grand roman, La Ville et les chiens dans lequel il disait les penchants autoritaires de la petite société vaguement européanisée de Lima (Pérou). Ce trait historique est adjoint dune haine de cette part dindianité qui "souille" tout un chacun (les Espagnols sont les inventeurs de la "pureté de sang"), ajoutée dune attraction sans espoir pour la civilisation européenne. Lensemble fait des dirigeants, des despotes clownesques
Ainsi, il y a du Mussolini dans le portrait de Trujillo avatar du macho latin, lhomme aux mille conquêtes féminines et qui, sous le soleil, ne transpire jamais
Le grotesque de ce modèle est décrit sans appel et avec moins de bienveillance que LHomme à cheval de Drieu La Rochelle.
Romancier, Vargas Llosa lest en même temps que spectateur de son temps et analyste politique. On a ici affaire à un monstre de travail qui livre une partie de son observation à travers sa monumentale uvre décrivain, et qui dépeint le sous-continent américain comme peu dautres lon fait. Et pourtant il est bien souvent considéré dans les milieux intellectuels sud-américains comme un écrivain certes prolixe mais surtout, mineur. Sans doute est-ce parce quil privilégie lidée sur le style, et quil professe un libéralisme parfois intransigeant. Gageons toutefois que les lecteurs sauront lui rendre justice.
Vianney Delourme ( Mis en ligne le 09/05/2004 ) Imprimer
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