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Poches -> Littérature |
| Hubert Mingarelli Quatre soldats Seuil - Points roman 2004 / 5.50 € - 36.03 ffr. / 202 pages ISBN : 2-02-063119-9 FORMAT : 11x18 cm
Roman paru une première fois en janvier 2003 (Seuil).
Prix Médicis 2003 Imprimer
Après La dernière Neige, La Beauté des loutres, et alors que sort Hommes sans mère, Quatre soldats est publié au format poche par les éditions du Seuil. Loin des modes et du vacarme des prix (bien que l'auteur ait reçu dernièrement le prix Médicis), comme retirés dans la sérénité de leur propre silence, ces livres aux titres sobres relèvent tous dun minimalisme difficile, ascétique.
Hubert Mingarelli emploie les mots les plus simples : ceux quon pourrait croire, de par leur modestie, inaptes à exprimer ou à suggérer quoi que ce soit. Mais il sait aussi se tenir à leur écoute, être à la (dé)mesure de leur humilité : en cela il est un maître. Parfois, dans ces romans, on a limpression quil ne se passe rien : cest le cas notamment de La Beauté des loutres, roman de la raréfaction, des échanges verbaux comme des actions. Dans La dernière Neige ou Quatre soldats non plus, il ne se passe presque rien. Tout est dans ce «presque», car ce qui na lair de rien, cest précisément ce qui est énorme.
Linquiétude de Mingarelli concerne lévocation des rapports humains : entre un père et son fils, un livreur et son aide, des soldats... Hiver 1919. Larmée rouge se heurte dun côté au front roumain, de lautre au front polonais. Une poignée de soldats sont unis par un lien indestructible : lamitié de guerre. Ils sont au nombre de quatre, comme les quatre points cardinaux : lunivers à eux tous seuls, linfini de lamitié réinventé, lespace de quelques semaines, au coeur de la tourmente. Hormis le narrateur, il y a Kyabine, grand benêt attachant, dune grande force physique mais dune certaine lenteur desprit ; Sifra au «regard doux et prophétique, et presque tout le temps silencieux» ; Pavel enfin, le plus mûr de tous et aussi le plus fort moralement sil nétait régulièrement la proie de cauchemars nocturnes.
Unis par une amitié en deçà des mots, ils sont des démunis du langage, dont ils savent à peine se servir pour parler, et pas du tout pour écrire. A défaut de mots, cest par des gestes, des intentions vouées à demeurer tacites mais douées de la présence immatérielle du désir ( «(...) jaurais aimé trouver quelque chose à dire pour le consoler», dit lun deux), quils attestent la profondeur de leur amitié. Il y a un merveilleux «sentir en commun» chez ces êtres assez vieux pour souffrir moralement et non seulement physiquement de la guerre et cependant trop jeunes encore pour la comprendre. Quatre soldats est une belle méditation sur la communauté, sur le partage insituable entre le fait dêtre ensemble et le fait dêtre seul, lun impliquant paradoxalement lautre. Lamitié maintient la guerre à distance, elle dessine dans lobscurité un cercle improbable dans lequel la faim, la peur, lincertitude quant à lavenir, sans disparaître, sestompent.
Comme dans les précédents romans, le récit de Quatre soldats compte la présence de talismans. Dans La dernière Neige, cétait un milan en cage, symbole du rêve ou encore de la vraie vie à lhorizon dun monde de solitude, de silence et de souffrance. Dans La Beauté des loutres, cest une notion quasi abstraite qui donne précisément son titre au livre. Ici, ils sont au nombre de trois. Il y a les mains de bois que sculpte Yassov et quil distribue ensuite aux soldats pour quils se sentent moins dans leur sommeil. Il y a la montre au ressort cassé mais qui abrite la photographie dune femme, que le narrateur et ses amis embrassent et avec laquelle ils dorment à tour de rôle. Il y a enfin le carnet dans lequel le gosse Evdokim consignera la geste des quatre soldats qui lont pris sous leur aile. Plus quun objet magique dans les vertus duquel on croirait sans réserve, le talisman est un objet religieux à partir duquel se dit le lien dun être avec ses rêves, avec les autres et avec lui-même.
Lultime talisman, dans Quatre soldats, est le carnet, sorte de livre à venir détenu par lenfant. Ce carnet dans lequel chacun des faits et gestes des amis est consigné est, on le comprend, le double fictif du roman, la même histoire rigoureusement, mais rendue à lincertitude, au tremblé des vies. Le carnet du gosse Evdokim précise cette fonction de mise en abyme de la fiction qui est celle des talismans : points de contact du réel et de la fiction, emblèmes à travers lequel ces derniers communiquent et séchangent, tendant à se confondre et pourtant, dans le même instant cest la dure leçon du récit, son tragique -, différant essentiellement.
La fiction est à fleur du réel, aussi proche du réel quil est possible. On pourrait croire un moment quelle et lui ne font quun. Belle leçon : ce nest pas le caractère extraordinaire des choses qui fait le prix dun récit, cest bien plutôt le fait dêtre assumés par un récit ou par une parole qui rend les faits en apparence les plus ordinaires, soudain dignes dattention. Mais lart nest en définitive quune promesse, intenable, de réconciliation : redoublant le réel, la fiction est à la fois la même chose que lui et déjà autre chose, une chose qui, partie du réel, tient lieu à présent du réel, est du rêve, inaccessible.
Thomas Regnier ( Mis en ligne le 07/06/2004 ) Imprimer | | |
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